Le vrai scandale, c'est le poids du grand patronat sur ceux qui gouvernent18/05/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/05/une1972.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Le vrai scandale, c'est le poids du grand patronat sur ceux qui gouvernent

Allez savoir qui manipule qui, dans le marais nauséabond de l'affaire Clearstream où sombrent les sommets de l'État!

Et, au fond, quelle importance pour les travailleurs? Les coups qui leur font du mal, ce ne sont pas les coups bas que les Chirac, Villepin et Sarkozy s'assènent. Car ces gens-là, s'ils sont rivaux, ont mené ensemble la politique antiouvrière et propatronale du gouvernement.

Cette affaire lève cependant un coin du voile sur les relations entre les milieux d'affaires et ceux qui nous gouvernent. Ainsi le dénommé Gergorin, soupçonné d'être l'auteur des lettres anonymes qui ont déclenché l'affaire, est un des dirigeants du groupe industriel EADS -celui qui vient d'annoncer la fermeture d'une de ses filiales, la Sogerma, avec à la clé la suppression directe ou indirecte de 6000 emplois. Ce Gergorin a été le bras droit d'un des plus puissants patrons de ce pays, feu Jean-Luc Lagardère. Et il est en même temps un ami personnel de Villepin. Il a été à l'ENA camarade d'Alain Juppé, un ex-Premier ministre de droite, de Laurent Fabius, un ex-Premier ministre de gauche, et de Dominique Perben, le ministre des Transports. Le patron de la SNCF, Louis Gallois, et celui d'Air France, Jean-Cyril Spinetta, étaient dans cette même classe de l'ENA.

Cette affaire illustre, aussi, avec quelle facilité des hommes passent de la direction de l'État à celle des grandes entreprises, du "service de la République" à celui d'un grand patron comme Lagardère.

La presse rapporte que Sarkozy, lui, va souvent en vacances avec Bouygues et reçoit à sa table Jean-Claude Decaux ou Bernard Arnault, patron du trust de produits de luxe LVMH, et bien d'autres patrons, comme ceux de Suez, Alstom ou la BNP.

Le scandale des coups bas entre "amis" politiques est finalement mineur, à côté de ce scandale permanent que sont les liens entre les dirigeants des grandes entreprises et ceux de l'État, entre ceux qui bénéficient des largesses de l'État et ceux qui prennent ces décisions-là en prétendant le faire "au nom du peuple".

On consent aux électeurs le droit de voter une fois tous les cinq ans. Mais les grands trusts de l'armement, du bâtiment ou de l'industrie du luxe votent tous les jours et pèsent sur les décisions, par copinage de leurs dirigeants avec les ministres ou en utilisant les médias dont ils sont propriétaires. Car, parmi ceux qui possèdent les grands titres de la presse ou les chaînes de télévision, on retrouve les mêmes: les Bouygues, Dassault, Lagardère et quelques autres, précisément les patrons d'industries qui s'enrichissent en grande partie, voire exclusivement, des commandes de l'État.

Ce sont ces gens-là qui expliquent pourquoi il est nécessaire de faire des réformes en demandant toujours plus de sacrifices aux travailleurs, aux retraités, aux chômeurs, pendant que leurs profits dépassent chaque année de nouveaux sommets.

À propos de la société financière Clearstream, le scandale se focalise sur la vraie-fausse liste contenant les noms d'hommes politiques. Mais le vrai scandale est l'existence même de ce type de banques, soupçonnées d'être spécialisées dans le blanchiment de l'argent. Mais il est vrai que Clearstream ne fait que pousser plus loin l'opacité légale du "secret des affaires", derrière lequel les grandes entreprises prennent leurs décisions les plus nuisibles à la société.

Histoire de conforter son image d'opposant au gouvernement de droite, et surtout de se poser en alternative à l'échéance de 2007, le PS a déposé une motion de censure. Mais, que la gauche au gouvernement donne ou pas la même image d'un panier de crabes que la droite, le poids du grand patronat sur les sommets de l'État reste le même.

La droite sert le grand patronat par inclination. La gauche le sert parce qu'elle est à plat ventre devant ceux qui dirigent l'économie. Pour les travailleurs, le résultat est le même car, pour résoudre les problèmes vitaux du monde du travail, les licenciements, la précarité et l'insuffisance des salaires, il n'y a pas d'autre moyen que de s'en prendre au grand patronat, en puisant dans les profits des entreprises et les revenus des actionnaires!

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 15 mai

Partager