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Tribune de la minorité
La nationalisation des réserves boliviennes en hydrocarbure... et ses limites
Le 1er mai dernier, le président bolivien Evo Morales a annoncé la nationalisation des gisements de pétrole et de gaz naturel et fixé un ultimatum de 180jours aux compagnies étrangères exploitant ces ressources pour renégocier les conditions de leur exploitation. Sont visés une vingtaine de trusts de l'énergie dont le brésilien Petrobas, l'espagnol Repsol, le britannique BP ou le français Total. La décision s'est accompagnée de l'envoi spectaculaire de l'armée sur les sites pétroliers et gaziers.
Les trusts étrangers seront obligés de s'associer à la compagnie bolivienne d'exploitation YPFB. L'objectif affiché est d'accroître la part que touchera l'État bolivien sur l'exploitation de ses ressources naturelles en prenant sur les profits des grands trusts qui les pillent depuis des décennies. En cela, cette politique mérite d'être soutenue. D'autant que si ces compagnies semblent pour l'instant accepter le principe des renégociations, on ne sait pas encore quelle sera leur réaction finale ni celle des États qui les défendent.
Cela ne saurait cependant cacher les limites et les ambiguïtés de la politique de Morales. D'abord, il ne s'agit pas à proprement parler de la nationalisation de l'industrie pétrolière et gazière du pays. Seules les réserves deviennent propriété de l'État, et ce n'est le cas ni des infrastructures, ni de l'exploitation proprement dite. Or c'est cette exploitation des ressources qui constitue la source essentielle des revenus des trusts pétroliers et gaziers. Il ne s'agit donc pas de s'en prendre fondamentalement au droit des compagnies capitalistes à s'enrichir du pillage des ressources naturelles, mais de se donner les moyens de négocier une rente plus importante pour l'État sur les fruits de ce pillage. Par ailleurs, une plus grande part des richesses issues de l'exploitation des hydrocarbures pour l'État bolivien ne signifie pas nécessairement plus de contrôle de la part de la population, ni en conséquence l'assurance pour les plus pauvres et les travailleurs qu'une meilleure part de ces richesses leur revienne finalement. La place prise par la compagnie publique YPFB n'est pas en soi une garantie. Il suffit pour le comprendre de voir qu'une des compagnies qui est la plus présente en Bolivie est précisément Petrobas, compagnie contrôlée par l'État brésilien, sans que le pillage des ressources boliviennes bénéficie en quoi que ce soit aux travailleurs du Brésil.
Il y a une ambiguïté sur le sens des mesures prises par l'État bolivien. Ambiguïté qui se reflète dans les déclarations pour le moins contradictoires de Morales ces derniers jours. Présent à Vienne vendredi 11mai pour le sommet de l'Union européenne et de l'Amérique latine/Caraïbes (UE-ALC), il a ainsi déclaré: «Nos ressources naturelles sont pillées et nos matières premières exportées depuis plus de 500 ans. Il est temps que cela cesse». Mais dans le même temps il multiplie les garanties en direction des grandes puissances impérialistes. En marge du même sommet, Morales s'est longuement entretenu avec Jacques Chirac et a tenu à lui préciser qu'«il n'y aura pas de spoliation», que «c'est bien dans un esprit de négociation avec les entreprises étrangères que les discussions vont être conduites».
Ces déclarations reflètent en fait les différents impératifs guidant la politique de Morales. Il faut se souvenir que l'histoire récente du pays a été marquée par des luttes, grèves et émeutes ouvrières comme la grève générale de mai 2005 qui avait conduit à la démission du président Carlos Mesa. D'un côté il s'agit de répondre, ou de sembler répondre aux aspirations populaires dans une situation sociale tendue. C'est en s'appuyant sur celles-ci et sur le mécontentement exprimé en particulier contre le pillage des ressources en hydrocarbure que Morales a été élu. D'un autre côté, son but n'est pas d'en finir réellement avec l'exploitation des richesses par les grands trusts impérialistes, mais seulement de s'entendre avec eux pour les convaincre d'en laisser une plus grande part à l'État bolivien.
Alors, même si c'est bien la pression des travailleurs et de leurs luttes de ces dernières années qui donnent aujourd'hui des ailes à Morales et lui permettent de s'en prendre, même partiellement, aux profits des grands trusts impérialistes, les travailleurs de Bolivie qui veulent réellement changer leur sort ne peuvent s'en tenir au seul soutien à ces mesures. La fin de décennies de pillage impérialiste et la mise de ces richesses au service des besoins des travailleurs viserait à une véritable expropriation des grands trusts. Et un véritable contrôle de la population sur les richesses du pays devrait commencer par l'organisation des travailleurs eux-mêmes, en particulier sur les lieux d'exploitation. Rien ne laisse à penser que Morales et son État, même sous la pression, soient disposés à s'y laisser porter, bien au contraire.
C'est à l'armée que Morales a fait appel pour occuper les sites pétroliers et gaziers, pas aux travailleurs. Là réside toute la différence entre une politique qui se voudrait au service des travailleurs et des pauvres, avec la défense des intérêts d'un État national dont le but est le maintien d'un ordre social basé sur leur exploitation.