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Italie : Après la victoire de "l'Unione", Face à Prodi,les travailleurs auront à se défendre
Les 9 et 10 avril, c'est une victoire à l'arraché -qui peut ouvrir la porte à bien des contestations juridiques- qu'a remportée l'Unione, la coalition de centre-gauche conduite par Romano Prodi aux élections législatives italiennes. Celles-ci concernaient aussi bien la Chambre des députés que le Sénat et, pour les élections à la Chambre, l'Unione n'a dépassé la coalition de Berlusconi, baptisée "Maison des libertés", que de quelque 25000 voix à l'échelle nationale, soit 49,8% des suffrages contre 49,7%. Et si, grâce à la prime de majorité prévue par la loi, cela fournit tout de même à l'Unione une majorité confortable à la Chambre de 341 sièges sur 630, il n'en est pas de même au Sénat, où le centre-gauche ne disposera que d'un siège de majorité.
Une victoire acquise de justesse
Jusqu'au dernier moment, les dirigeants de l'Unione ont même pu craindre de se retrouver minoritaires au Sénat contre la coalition de Berlusconi. En effet, si les élections à cette assemblée, à la différence de la France, ont lieu au suffrage universel, seuls votent les électeurs âgés de plus de vingt-cinq ans, contre dix-huit ans pour les élections à la Chambre. Il en résulte une différence entre les résultats pour la Chambre et pour le Sénat qui a fait que cette fois, en particulier, l'Unione s'est retrouvée minoritaire en voix pour le Sénat (49% contre 50,2%). L'Unione a pu malgré tout être majoritaire en sièges au Sénat du fait du découpage des circonscriptions électorales, qui pour ces élections correspondent aux régions et introduisent à ce niveau des primes majoritaires.
Sans doute, l'Unione pourra aussi accuser le gouvernement sortant de Berlusconi de porter la responsabilité de cette majorité réduite. En effet, celui-ci lui a joué le tour de modifier le système électoral à quelques mois des élections, remplaçant à la Chambre l'élection majoritaire par circonscription par la proportionnelle. Berlusconi voulait ainsi tenter de désagréger la coalition de centre-gauche, dans laquelle seule la logique du système majoritaire imposait la direction de Prodi. En tout cas il voulait tenter de limiter sa victoire annoncée.
Peine perdue pour Berlusconi, cette manoeuvre n'aura donc finalement pas empêché l'Unione de gagner les élections. Et si la victoire est si courte pour l'Unione, cela s'explique sans doute d'abord par la façon dont se présentait l'Unione elle-même. L'électorat populaire ne pouvait guère se faire d'illusions sur ce que celle-ci a à lui proposer.
Une gauche qui ne promet rien aux travailleurs
Bien sûr le "professore" Prodi a pu se vanter d'avoir un programme de gouvernement. Celui-ci, qui ne fait pas moins de 288 pages, est censé confirmer l'image de gestionnaire sérieux que Prodi veut donner de lui-même et de la coalition qu'il dirige. Mais cette dissertation ennuyeuse, addition de phrases générales sur les transformations qu'il serait nécessaire de faire subir à la société et à l'économie, ne contient aucun engagement précis vis-à-vis des classes les plus pauvres.
En revanche, chacun peut se souvenir du précédent gouvernement Prodi, celui qui, de 1996 à 1998 imposa une politique d'austérité draconienne pour que le budget italien puisse satisfaire aux "critères de Maastricht" et ainsi entrer dans l'euro. C'est aussi lui qui prépara la généralisation de la précarité, bien avant que le gouvernement Berlusconi s'engouffre à sa suite.
Aujourd'hui Prodi revient, après un passage à la tête de la Commission européenne de 1999 à 2004, et c'est pour appliquer la même politique. En effet, de nouveau la dette publique s'envole, le déficit du budget s'emballe au-delà des 3% autorisés par le pacte de stabilité européen. Prodi et ses alliés peuvent accuser le gouvernement Berlusconi et sa gestion calamiteuse d'en être responsables. Mais de toute évidence, c'est aux couches populaires qu'ils promettent de faire payer la note et non au patronat, qui malgré toutes ses plaintes sur le "déclin" que connaîtrait l'économie italienne, n'en a pas moins continué à faire des affaires d'or et à encaisser des profits records.
D'ailleurs c'est au patronat que Prodi a fait la promesse la plus précise. Déclarant que sa priorité sera de faire repartir l'économie, il a assuré celui-ci qu'il ferait baisser le "coût du travail" en diminuant de cinq points les charges sociales. Bien sûr, il a ajouté aussi que, grâce à une réduction de la pression fiscale, le pouvoir d'achat des salariés augmenterait... sans augmentation de salaires. Mais comment croire qu'un Prodi pourrait satisfaire à la fois le patronat, qui veut encore baisser les salaires, et les travailleurs qui sont déjà parmi les moins bien payés des principaux pays européens?
En fait les dirigeants de l'Unione n'ont pas voulu s'engager par la moindre promesse un peu concrète à l'égard des travailleurs et des couches populaires qui constituent la majeure partie de leur électorat. Ils estimaient que la politique de Berlusconi, son bilan désastreux pour la population étaient un faire-valoir suffisant, et que le discrédit de celui-ci suffirait à leur amener des voix. Leur calcul a presque été perdu, car face à eux Berlusconi ne craignait personne en matière de démagogie. N'hésitant pas à promettre à quelques jours du scrutin rien moins que le suppression des taxes communales sur l'habitation principale, il a sans doute regagné ainsi un certain nombre d'électeurs hésitants!
Les revendications ouvrières passées sous la table
Pourtant, c'est en disant que la priorité était de "chasser Berlusconi" que les différents partenaires de l'Unione se sont alignés sur le programme minimal défendu par Prodi. Le parti de la Refondation communiste, en particulier, s'est fondu dans l'Unione, et en a respecté la discipline, s'abstenant de défendre les revendications des travailleurs, frappés par la crise, le chômage, les bas salaires, l'absence de logements. La CGIL elle-même, le principal syndicat italien, a parlé de la "convergence" de ses objectifs avec ceux de Prodi et d'un "pacte de législature" avec celui-ci. Ainsi ils ont aidé Prodi, au nom de la nécessité de "chasser Berlusconi", à faire passer sous la table les revendications urgentes des salariés.
On verra dans les mois qui viennent ce qu'il adviendra de la coalition de centre-gauche, ne disposant que d'une majorité parlementaire fragile. Il n'est même pas exclu que les deux coalitions, de centre-gauche et de centre-droit, se décomposent pour recomposer une majorité au centre. Cela est d'autant plus possible que le système proportionnel rétabli par Berlusconi amoindrit désormais la pression qui contraignait les partis à se grouper en deux coalitions. Mais de toute façon, pour les travailleurs, les couches populaires, cela ne changera pas grand-chose.
Dans ces élections, ceux-ci ont pu voter, mais en réalité ils n'ont pas eu vraiment la parole car aucune des coalitions, et pas même les partis qui, au sein de l'Unione, prétendent les représenter, ne s'est souciée de défendre leurs revendications et de préparer la voie pour leurs luttes futures.
Il faudra pourtant bien préparer ces luttes, contre Prodi comme contre Berlusconi. Ce sera la seule façon de pouvoir imposer leurs exigences à des gouvernements qui n'en ont cure.