Biélorussie : Loukachenko reste en piste, pour l'instant30/03/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/03/une1965.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Biélorussie : Loukachenko reste en piste, pour l'instant

En Biélorussie, le dernier carré de manifestants a été dispersé par les forces antiémeutes du président-dictateur Loukachenko. Une dizaine de jours après le début des manifestations contestant sa réélection, celui-ci a fait les choses en grand, déployant pratiquement autant de policiers que de manifestants.

Et comme, au fil des jours, plusieurs centaines d'entre eux avaient été arrêtés sans que viennent les remplacer suffisamment de nouveaux opposants déterminés à braver la répression, le régime peut se targuer de l'avoir emporté, dans la rue, après l'avoir fait dans les urnes. Mais dans les deux cas, il n'a pas eu à affronter une opposition de réelle importance.

L'échec des manifestations

Le 19 mars, jour du scrutin présidentiel, devant les fraudes perpétrées par le régime et les entraves mises à la campagne des candidats autres que celui du pouvoir, des manifestants étaient descendus dans la rue. Certains avaient même entrepris de camper dans le centre de la capitale, sur le modèle de ce que l'on avait vu fin 2004 à Kiev, dans l'Ukraine voisine.

Mais on doit constater que, dans la série des révolutions "colorées" (des "roses" en Géorgie, "orange" en Ukraine, des "tulipes" au Kirghizstan) qui ont récemment secoué les régimes de certaines ex-républiques soviétiques, il n'y a pas eu, au moins cette fois, de "révolution bleue" (le bleuet est la fleur-symbole de la Biélorussie). Milinkevitch, le leader de l'opposition et ex-maire-adjoint d'une des grandes villes du pays, Grodno, a déclaré pourquoi devant les derniers manifestants: "Il faut être réalistes: nous ne sommes pas 200000. Si cela avait été le cas, [le président] aurait dû partir dans son Boeing vers un autre régime dictatorial." Et le fait est que cette opposition officielle peine à trouver des relais dans les sphères dirigeantes et des appuis suffisants dans la population.

D'abord, à la différence de la Géorgie ou de l'Ukraine, le régime n'a pas ou pas encore suscité de réelles oppositions à Loukachenko au sommet. Il n'y a pas d'homme du pouvoir entraînant des pans importants de l'appareil d'État et qui se dresse contre Loukachenko, en profitant du mécontentement de la population ou d'une partie d'entre elle. La demi-douzaine de candidats qui s'opposaient à Loukachenko sont certes tous plus ou moins liés à des fractions de l'appareil d'État, mais apparemment pas significatives, quand bien même certains ont bénéficié, ce qui n'a rien de surprenant, du soutien multiforme des États-Unis et de l'Union européenne. Quant à la population, la dictature pèse sur ceux de ses éléments qui relèvent la tête.

Mais le caractère dictatorial du régime ne suffit pas à tout expliquer. Loukachenko bénéficie non seulement de l'appui de toute la presse, de tous les partis représentés au Parlement mais aussi du soutien de certains secteurs de la société, même si ce soutien n'a rien d'uniforme et change de nature selon les milieux considérés.

Les soutiens de Loukachenko

Il y a d'abord les membres du haut appareil d'État qui profitent largement du contrôle que l'État continue d'exercer sur les entreprises. Dans leur grande majorité, elles ont certes été privatisées, mais l'État détient au moins 90% de leur capital, notamment dans le cas des 120 plus grandes entreprises, qui assurent plus de la moitié de la richesse produite dans le pays. Cela assure aux hauts bureaucrates, civils et militaires, des salaires qui peuvent officiellement atteindre l'équivalent de 1000 à 2000 dollars par mois. Cela permet aussi à une couche de "businessmen" proches du pouvoir de s'enrichir. Il s'agitune petite bourgeoisie dont le soutien fait défaut à l'opposition officielle, sauf un peu dans la capitale et dans la région de Grodno, proche de la Pologne, où les trafics transfrontaliers nourrissent une partie de la population, mais aussi toute une couche d'affairistes.

La paysannerie, elle, constate qu'à la différence de la Russie ou de l'Ukraine voisines, moins de 5% des terres ont été privatisées. Les kolkhozes (fermes collectives soviétiques) ont été maintenus et, ainsi, des conditions d'existence qui peuvent paraître enviables au regard de ce qu'ont subi la plupart des kolkhoziens ailleurs en ex-URSS.

Quant à la classe ouvrière, elle a bien des raisons de voir le régime d'un mauvais oeil. Les salaires sont, certes, payés plus régulièrement qu'en Russie et en Ukraine, même si des grèves ont eu lieu ces dernières semaines pour toucher des salaires retenus, comme à l'usine FanDoc de Bobrouïsk ou au combinat des moteurs de Minsk. Le régime cite un salaire moyen de l'ordre de 250 dollars, supérieur à ce qui se pratique en Russie ou en Ukraine, mais il se vante moins des 20% de la population qui, selon ses propres statistiques, survivent en dessous du seuil de pauvreté. Quant à la sécurité de l'emploi, plus au moins assurée jusqu'alors, elle n'est plus qu'un souvenir avec la loi généralisant les contrats de travail à l'année, plus rarement pour trois ou cinq ans. Loukachenko se sert de cette loi pour faire pression sur la classe ouvrière dont il sait, lui, qu'elle n'est pas si satisfaite que cela du régime, et pour écarter des grandes entreprises les travailleurs contestant le régime et les "syndicats" qui lui sont inféodés.

Loukachenko peut recourir à une démagogie populiste mêlant nationalisme, religion et relents de stalinisme, et dans un contexte où la situation sociale apparaît moins désastreuse que chez les voisins, cela explique en partie sa victoire électorale. Mais cela ne lui apporte pas pour autant un véritable soutien des couches populaires. Même si celles-ci ne se sont pas encore fait entendre, à la différence de ceux -étudiants, petits bourgeois, nostalgiques de la république bourgeoise de 1918 qui combattit la révolution d'Octobre, etc.- qui manifestaient ces jours derniers à Minsk.

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