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Dans le monde
Biélorussie : Le satrape Loukachenko et ses critiques occidentaux
Le président biélorusse Loukachenko, en place depuis 1994 et candidat à sa propre succession, a beau compter sur une réélection quasi assurée le 19 mars -même son opposition le concède à mi-mots-, ses sbires ne perdent pas la main.
Des policiers ont tabassé et arrêté le candidat d'un petit parti dit social-démocrate, Gramada. Privé, comme tout ce qui n'est pas lié au pouvoir, de la possibilité de tenir des réunions publiques, de diffuser et même d'avoir une presse indépendante, le candidat de Gramada s'était invité à une réunion du candidat-président. Il voulait apparemment y prendre la parole. Mal lui en a pris: il risque maintenant une condamnation à la prison, ce qui lui interdirait en outre de participer au scrutin.
Ce n'est pas la première fois que la police biélorusse s'en prend à tout ce qui peut, de près ou de loin, ressembler à une opposition. À Minsk, la capitale, en temps normal, la moindre tentative de rassemblement est systématiquement dispersée par la force policière. Y diffuser un tract, c'est s'exposer à une arrestation. Alors, en période électorale, quand le régime doit faire semblant d'accepter la présence d'une opposition, il cogne, sans faire semblant.
Cela, la presse et les gouvernements occidentaux ne se privent pas de le dénoncer. Pour Bush, la Biélorussie serait la "dernière dictature en Europe". En fait, ce ne sont pas tant les méthodes policières de Loukachenko qui indisposent les dirigeants occidentaux -ils s'appuient sur bien des dictatures de par le monde et usent des pires moyens quand leurs intérêts sont en jeu- que le fait qu'il reste un des rares alliés est-européens de la Russie. Ce n'est pas faute, pour l'Occident, au premier chef pour les États-Unis, d'avoir soutenu, comme partout ailleurs en ex-URSS, tout ce qui pouvait s'opposer au régime local au nom d'une orientation pro-occidentale. Les puissances occidentales peuvent se flatter de certains succès en Géorgie et en Ukraine. Mais, malgré les efforts qu'elles déploient depuis des années pour soutenir l'opposition biélorusse, notamment par le biais d'ONG et d'organisations situées dans la Pologne voisine, nulle "révolution orange" ou de "de la rose" n'a pu déstabiliser le régime de Loukachenko. Au contraire, pourrait-on dire.
En 2001, lors de la précédente présidentielle, les États-Unis et l'Union européenne avaient dit qu'ils ne reconnaîtraient son résultat que si des observateurs de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) le contrôlaient. Las, Loukachenko a obtenu plus de 80% des voix sans que l'OSCE déclare avoir constaté de fraude d'envergure.
En fait, la population sait bien de quelles méthodes use Loukachenko, mais elle sait aussi que le régime a, finalement, réussi à lui assurer une certaine stabilité de ses conditions d'existence, au moins en comparaison de ce qu'ont connu les autres peuples de l'ex-URSS. Certes, la Biélorussie bénéficie des retombées du transit sur son territoire du gaz et du pétrole russes. Mais l'Ukraine en bénéficie encore plus, sans que cela ait permis à sa population d'échapper à un effondrement de son niveau de vie. La Biélorussie a sans doute moins pâti, économiquement et socialement, de la disparition de l'URSS que l'Ukraine et que la Russie, parce qu'un pouvoir central relativement fort a réussi à s'imposer et, du même coup, à imposer à la bureaucratie locale une certaine discipline, sinon une retenue dans le pillage des richesses du pays, ce dont ont été incapables les pouvoirs russe et ukrainien.
Cette main de fer du régime s'est traduite, entre autres, dans le fait qu'il y a eu peu de privatisations-dépeçages de la propriété d'État ex-soviétique en Biélorussie, en tout cas rien de comparable avec ce qu'ont connu la Russie et l'Ukraine.
La haine que suscite Loukachenko, dans la presse d'ici comme auprès des dirigeants occidentaux, n'est pas étrangère au fait que son régime a, plus que ses voisins, conservé des traits de l'ancienne URSS et s'en sort relativement moins mal, sur le plan économique, que ses voisins qui se vantent d'avoir massivement privatisé. Et cela est difficile à admettre par tous ceux qui prétendent que prospérité rime avec mainmise du privé sur toutes les sources de richesse.
Si Loukachenko venait à être renversé sous les pressions occidentales, la population biélorusse n'aurait rien à y gagner. Il suffit de voir ce qui s'est passé en Géorgie et en Ukraine où les nouveaux dirigeants, plus éloignés de Moscou que leurs prédécesseurs, ont profité de la retombée du mouvement populaire pour conforter un pouvoir tout sauf démocratique, sans même que la population puisse enregistrer une quelconque amélioration de ses conditions de vie.
Mais il est aussi vrai que les travailleurs et petites gens de Biélorussie auraient tout intérêt à faire eux-mêmes le ménage. Car si Loukachenko et sa bande bénéficient, par défaut, d'un certain consensus, ils en profitent aussi pour assurer leurs privilèges sur le dos des classes populaires, tout particulièrement de la classe ouvrière, nombreuse, dont le régime cherche à briser toute tentative d'organisation même embryonnaire.