À propos des caricatures de Mahomet : Le bal des hypocrites08/02/20062006Journal/medias/journalnumero/images/2006/02/une1958.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

À propos des caricatures de Mahomet : Le bal des hypocrites

Si les événements qui ont suivi la publication par un quotidien danois de caricatures de Mahomet démontrent quelque chose, c'est que le jésuitisme est la chose la mieux partagée par tous ceux qui se réclament d'une religion, qu'elle soit catholique, luthérienne ou musulmane... et par bon nombre d'hommes politiques et de commentateurs. «Les choix se sont faits entre le principe de la liberté de la presse et le respect de la foi» affirmait Libération le 3 février, en annonçant à la Une un dossier sur les «caricatures de Mahomet [qui] embrasent le monde musulman».

Présenter les choses sous ce seul aspect, c'est vraiment se moquer du monde.

Qui peut croire qu'en présentant Mahomet comme un poseur de bombes, le Jyllands-Posten, quotidien danois conservateur, était habité par le seul désir de combattre la religion (dans un pays où le luthérianisme est religion d'État)? Sa rédaction en chef savait ce qu'elle faisait en commandant spécialement ces dessins dans un pays où l'extrême droite se sent le vent en poupe, après avoir obtenu 13% des sièges au Parlement.

Qui peut croire que France-Soir, en reproduisant ces dessins, n'était animé que par la passion de défendre la liberté de la presse et non par la recherche d'un coup médiatique, bien utile à un journal en difficultés financières. D'ailleurs, le limogeage immédiat de son rédacteur en chef par le principal actionnaire du journal a aussitôt montré ce qu'il fallait entendre par «liberté de la presse» dans le monde capitaliste.

Mais qui peut croire aussi que les manifestations qui se sont déroulées ces jours derniers dans les pays musulmans aient été dues à la seule indignation de gens qui se seraient sentis offensés dans leur foi?

Dans une Syrie où il n'y a de manifestations qu'autorisées, c'est-à-dire voulues par le régime policier de Damas, le sac des ambassades danoise et norvégienne ne peut pas être le seul fait de fanatiques religieux. Affaibli depuis qu'il a dû évacuer le Liban, le régime syrien, pourtant laïque, cherche à se refaire une santé en s'affichant comme un défenseur de l'islam. En orchestrant ces manifestations, il cherche à souder la population derrière lui et à démontrer à l'Occident qu'il peut s'appuyer sur elle. C'est aussi une manière d'amener ses voisins islamiques, et d'abord les monarchies du Golfe, à le soutenir face à l'Occident.

De la même manière les religieux chiites qui sont les maîtres de l'Iran se sont trouvés bien heureux, dans un contexte où ils sont soumis aux pressions occidentales visant à les empêcher de développer leur programme nucléaire, de pouvoir jouer le rôle des croyants outragés.

Et bien sûr les mouvements islamistes de toutes sortes, dont les invocations à l'islam recouvrent la volonté d'imposer des régimes réactionnaires, se sont précipités pour utiliser cette situation. Mais s'ils peuvent le faire avec succès, c'est aussi parce que la politique des grandes puissances impérialistes, le mépris qu'elles affichent pour les victimes de leurs interventions en Irak et en Afghanistan, leur soutien à Israël et leur déni de fait des droits du peuple palestinien, l'exploitation des ressources et des travailleurs des pays du Tiers Monde, suscite dans la population des sentiments de haine envers tout ce qui représente l'Occident.

Mais les hommes politiques occidentaux qui font mine de défendre la «liberté de la presse», tout en se prononçant pour le respect des convictions religieuses de chacun, ne sont pas les derniers dans ce concours d'hypocrisie. Ces discours sur le «respect des convictions religieuses» sont à la fois un instrument diplomatique dans leurs relations avec les pays musulmans, et un geste destiné aux bigots de leurs propres pays (ils en font parfois eux-mêmes partie) dont ils ont besoin de l'appui politique.

Quand Bush dit «comprendre» les réactions des musulmans face aux caricatures de Mahomet, il y a, de la part de ce président qui se dit «born again» (le christianisme lui aurait offert une «re-naissance»), l'expression d'une confraternité en bigoterie.

Car il n'y a pas que dans le que l'obscurantisme religieux fait bon ménage avec l'oppression sociale.

On en a un bon exemple avec les États-Unis et les assauts réitérés des intégristes chrétiens visant à mettre sur un pied d'égalité dans l'enseignement les contes bibliques sur l'origine du monde et la science. Il n'y a pas que sur ce terrain des fadaises «créationistes» que les intégristes chrétiens font feu, au propre comme au figuré, de tout bois. Le personnel des centres d'interruption de grossesse, dont plusieurs médecins ont été assassinés au nom de la défense du caractère sacré de la vie, les femmes qui ont de plus en plus de mal à trouver de tels centres, savent que les fous de dieu chrétiens n'ont rien à envier à leurs homologues musulmans, juifs, hindous ou autres.

Mais si l'humanité n'est pas sortie du Moyen Âge, si elle menace par bien des aspects d'y retourner, ce n'est pas un simple problème de survivance des préjugés religieux. C'est surtout une conséquence d'un ordre social dépassé, reposant sur l'exploitation et l'oppression, qui se survit, et qui a besoin pour maintenir sa domination de s'appuyer sur tout le fatras des idées réactionnaires héritées du passé.

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