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Naufrage au large de Cherbourg : Travailleurs de la mer portés disparus
Le Klein Familie de Cherbourg a coulé dans la nuit de mercredi à jeudi 5 janvier, emportant cinq de ses six hommes d'équipage. Il a manifestement été abordé par un cargo chimiquier, le Sichem Pandora. La collision entre un cargo de 117 mètres et un bateau de pêche de moins de 20 mètres ne laissait aucune chance à ce dernier.
Ce genre d'accident, s'il n'est pas toujours aussi dramatique, est en fait assez fréquent: le dernier rapport du BEA mer (Bureau enquête accident, organisme officiel) en recense un tous les deux mois entre 1997 et 2001. Depuis, le trafic maritime a encore augmenté. Dans la zone du naufrage du Klein Familie, la pointe du Cotentin, il passe 700 cargos par jour, remontant ou descendant la Manche, plus les ferrys qui traversent de la France vers l'Angleterre et retour et croisent la route des cargos, plus des dizaines de bateaux de pêche côtière. À cet endroit, il n'y a guère qu'une centaine de kilomètres entre les côtes française et anglaise.
C'est pourquoi, après bien des abordages et bien des naufrages, un système de circulation obligatoire a été mis en place pour les navires de commerce. Ils doivent suivre le "rail", dans lequel ils vont tous dans le même sens., soit sur le "rail montant", soit sur le "rail descendant". Un système de radars les repère, les guide et les empêche de sortir du rail.
Mais, évidemment, tout navire de pêche se rendant au-delà des "rails" doit obligatoirement les traverser. Il s'agit de bien viser entre deux monstres qui vont à 15 ou 20 noeuds (entre 25 et 35km/h), ne peuvent bien sûr pas s'arrêter très vite et se suivent à quelques kilomètres de distance. Il y a même en construction des porte-conteneurs de 360 mètres de long prévus pour naviguer à 25noeuds. Or les bateaux de pêche ont une vitesse beaucoup plus faible, et encore plus réduite lorsqu'ils tirent leur filet. Ils peuvent même être quasi immobiles et dans l'impossibilité de manoeuvrer lorsqu'ils le remontent.
Malgré l'équipement électronique (radars, alarmes, radio, etc.) la meilleure sécurité reste la veille humaine sur tous les bâtiments. Elle est d'ailleurs obligatoire dans le règlement maritime international.
Or, dans la marine marchande comme ailleurs, l'heure est à la réduction des coûts de main-d'oeuvre. Les armateurs réduisent ces coûts en réduisant les salaires, par exemple en embauchant des officiers russes et des marins lithuaniens, comme sur le Sichem Pandora. Mais, contrairement à ce que laisse entendre la presse, ce n'est pas la nationalité des marins qui pose un problème de sécurité, c'est leur nombre! L'équipement moderne permet, en théorie, qu'il n'y ait qu'un seul homme de veille sur la passerelle, y compris dans un des détroits les plus fréquentés du monde. Ce serait peut-être assez, et encore, s'il n'y avait que les navires à la file sur le rail, allant tous dans la même direction, à peu près à la même vitesse et donnant tous un bon écho radar. Mais c'est notoirement insuffisant lorsque d'autres cargos, des ferrys et surtout des pêcheurs, très petits et très bas sur l'eau, croisent le rail en tous sens.
Le danger d'abordage est encore plus grand la nuit, et augmenté par le mauvais temps, brouillard ou forte mer, qui sont fréquents en Manche. En réduisant les équipages, les armateurs prennent en toute connaissance de cause le risque de provoquer des naufrages. Aucun gouvernement n'a levé le petit doigt pour y changer quoi que ce soit. Les réglementations en matière d'équipage, de son nombre comme de sa qualification, sont aussi peu contraignantes que celles concernant l'état des navires.
De leur côté, les bateaux de pêche comme le Klein Familie sont aussi poussés à prendre des risques. Pour que le bateau soit rentable, ou même parfois pour qu'il ne soit pas en perte, il faut prendre du poisson et il faut le prendre vite. Alors, s'il faut chaluter un peu trop près du rail, tant pis. Là aussi, on a tendance à réduire les équipages au strict minimum, à travailler nuit et jour (ce qui n'est pas indispensable pour des bateaux pratiquant la pêche côtière), à rester en mer trop longtemps et par tous les temps, à négliger la veille pour aider à la manoeuvre. L'armateur ou le banquier exigent leur part.
Un abordage entre deux navires, comme celui qui vient de coûter la vie à cinq marins de Cherbourg, n'est pas une "fortune de mer". C'est un accident du travail, dû, comme ceux des ouvriers terriens, à la course au profit.