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Dans le monde
Israël : Sharon brute guerrière célébrée comme un "homme de paix!"
La disparition quasi certaine de Sharon de la scène politique israélienne change évidemment la donne, à quelques mois des élections législatives anticipées prévues pour le 28 mars 2006, et pour lesquelles Sharon avait créé un parti, Kadima (En avant), reposant totalement sur sa personne. Ce parti, donné grand favori des élections, avait d'emblée attiré bon nombre de politiciens de droite proches de Sharon, et de politiciens travaillistes qui ne l'étaient pas moins.
Présentée comme le résultat d'une évolution politique allant de la droite vers le centre, la création de Kadima, s'ajoutant à l'évacuation de la bande de Gaza, a donné au vieux général de droite l'image d'un homme ayant évolué vers des perspectives de paix et d'entente entre Israéliens et Palestiniens. Mais cette image, véhiculée par Bush qui a cru devoir qualifier Sharon "d'homme de courage et de paix", mais aussi par les Chirac, Blair et bien d'autres encore, n'est nullement partagée par les Palestiniens qui ont eu à subir et qui subissent encore la violence que leur réserve le gouvernement de Sharon et des siens.
Des crimes envers tout un peuple
Sharon a sévi contre les Palestiniens pendant plus d'un demi-siècle. En 1953, il dirigea une unité spécialisée dans des opérations meurtrières, comme celle qui amena au dynamitage de quelque quarante maisons dans le village de Qibiya, causant la mort de 69 Palestiniens. Dans les années soixante-dix, Sharon s'en prit violemment aux fedayins de la bande de Gaza. Plus de cent d'entre eux furent liquidés les uns après les autres. À la même époque, il expulsa des milliers de Bédouins de la région de Rafah, rasant leurs habitations, bouchant leurs puits.
Ce furent ensuite les années consacrées à la colonisation des territoires palestiniens. Son zèle fut alors si patent et si remarqué qu'il devint pour beaucoup "l'empereur des colonies".
L'invasion du Liban en 1982, voulue et menée par un Sharon alors ministre de la Défense du gouvernement Bégin, coûta la vie à plus de 15000 civils, libanais et palestiniens. Et surtout, à la mi-septembre 1982, il y eut les tueries de Sabra et Chatila, du nom des deux camps palestiniens où elles se produisirent. Elles furent perpétrées par les Phalangistes, milice d'extrême droite libanaise, sous le regard complice du QG de l'armée israélienne qui surplombait la scène des massacres. À l'époque, le médiateur américain Philip Habib eut ces mots sans appel: "Sharon est un assassin, animé par la haine des Palestiniens. J'ai donné à Arafat des garanties que les Palestiniens (restant à Beyrouth) ne seraient pas touchés, mais Sharon ne les a pas honorées. Une promesse de cet homme ne vaut rien."
Puis, à la fin de l'année 2000, ce fut la provocation organisée par Sharon sur l'esplanade des Mosquées à Jérusalem. La révolte qui s'ensuivit marqua le début de la seconde Intifada.
Se présentant comme recours contre un terrorisme qu'il avait lui-même déclenché, Sharon fut élu aux élections législatives de 2001. Commença alors une guerre terrible, qui aux dires du nouveau gouvernement devait durer cent jours. Elle n'est toujours pas terminée. Il y eut le siège de Jénine, celui de la Muquata où Arafat fut des mois durant enfermé. L'armée israélienne intervint comme jamais auparavant avec son armement lourd. De nombreuses villes palestiniennes ont été bombardées. Des murs et des clôtures de toutes sortes ont été érigés, coupant les quartiers arabes les uns des autres, en particulier l'ignoble "Mur de séparation" de huit mètres de haut devant isoler toute la Cisjordanie. Jour après jour, des colonies juives se sont agrandies et de nouvelles ont surgi, par absorption des terres palestiniennes. Des champs ont été saccagés ou volés, pour que soient construites des routes de contournement réservées aux seuls Israéliens.
Le retrait de la bande de Gaza, un tournant?
Ces réalités sont suffisamment terribles pour qu'aucune illusion ne puisse se faire jour quant aux intentions qui étaient celles de Sharon. Et ce n'est certainement pas le retrait de la bande de Gaza qui pourrait contredire toute la politique passée et présente. Cela faisait bien longtemps que l'éventualité d'un tel retrait était évoquée, car la situation à Gaza était intenable pour l'armée israélienne et il devenait absurde d'y maintenir plus de soldats qu'il n'y avait de colons à protéger. Seulement, aucun des gouvernements précédents n'a eu le courage politique de procéder à cette évacuation. Surtout pas les gouvernements travaillistes. Ce qui ne les a pas empêchés de soutenir bruyamment Sharon quand ce dernier décida l'évacuation, expliquant qu'il se rangeait enfin à leur politique.
Mais Sharon et ses conseillers expliquèrent que l'évacuation de Gaza était une concession mineure, et ils expliquèrent clairement que le principal allait se jouer en Cisjordanie, où l'évacuation des colonies n'était absolument pas à l'ordre du jour. Et de fait, que ce soit à Jérusalem-Est où dans les autres grandes zones d'implantation, la colonisation s'est inexorablement poursuivie. Aujourd'hui, en Cisjordanie, le nombre de colons dépasse 253000 (hors Jérusalem). Et si seuls 8475 colons ont été évacués de la bande de Gaza et de quelques colonies de la région de Jénine, dans la même période la population des colons de Cisjordanie a augmenté de 15800. Selon un rapport du Bureau central des statistiques, la construction d'habitations dans les colonies en Cisjordanie a augmenté de 83% durant le premier trimestre 2005 (avec 564 maisons contre 308 en 2004), alors que dans le même temps le nombre des constructions diminuait de 25% en Israël même.
Alors, la politique de Sharon se serait infléchie? Avait-il l'intention, après avoir évacué Gaza, d'évacuer une partie de la Cisjordanie? Peut-être, mais certainement pas de faire des concessions permettant d'y créer un État palestinien viable. À ceux qui le croient ou veulent le faire croire, le programme de son nouveau parti, Kadima, montre l'inverse puisqu'il reste au contraire dans le droit fil de toutes les politiques menées jusqu'à présent. Pour Kadima, il s'agit de fixer unilatéralement les frontières de l'État, avec un maximum de terres pour les Israéliens, comportant un minimum de Palestiniens. Aux dires des tenants de Kadima, "les frontières définitives d'Israël engloberont l'ensemble de Jérusalem, des blocs d'implantations, notamment Ariel, Goush Etzion et Maale Adoumim". Quant au droit de retour pour les Palestiniens, il est catégoriquement rejeté.
Un homme de paix... par la grâce des travaillistes
L'évacuation de la bande de Gaza, la création de Kadima, auraient-elles suffi à donner à Sharon l'image d'un l'homme de paix? Pas nécessairement, si la gauche ne l'avait pas soutenu sans la moindre critique. Ce fut d'ailleurs grâce aux voix des députés travaillistes emmenés par Pérès, leur principal dirigeant, que Sharon put dégager une majorité au Parlement, alors que plus de la moitié des députés de son propre parti ne l'avaient pas suivi, votant même contre le retrait de Gaza.
Ce suivisme s'est encore poursuivi lorsque Sharon, pour ne plus avoir à s'embarrasser d'une opposition au sein du Likoud, a claqué la porte de ce parti, aussitôt soutenu dans sa démarche par Pérès, qui entre-temps avait été battu à la présidence du Parti Travailliste.
Mais de tels choix ont aussi été faits et de tels propos ont aussi été tenus par le représentant d'un parti qui se veut à gauche du Parti Travailliste, le Yahad-Meretz. Son principal dirigeant vient en effet de déclarer: "La décision de Sharon (de quitter le Likoud et de créer son nouveau parti) est une grande victoire pour les tenants d'un partage de la terre, une réelle opportunité pour une coalition menée par le camp de la paix."
Et voilà comment Sharon, un homme de droite, voire d'extrême droite, au passé sanglant a pu, grâce au soutien de quelques-uns, être présenté comme un homme dont la politique serait acceptable pour l'avenir des peuples du Proche-Orient, aussi bien israélien que palestinien. Une véritable mystification!