Italie : Le TGV Lyon-Turin... et les besoins de la population29/12/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/12/une1952.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Italie : Le TGV Lyon-Turin... et les besoins de la population

Depuis le mois de novembre, la région du Val de Suse, en Italie, est le théâtre d'une véritable mobilisation de la population. Celle-ci vise le projet de ligne TGV Lyon-Turin qui devrait traverser cette vallée alpine, toute proche de la frontière française.

Une réaction compréhensible

La vallée sert déjà de passage à deux routes nationales, une voie ferrée et une autoroute parcourue par un flot incessant de camions. Ses habitants, qui en ont assez, ne veulent pas y voir, en plus, passer une ligne TGV dont il n'est même pas dit qu'elle ferait diminuer le trafic routier. Sans parler des nuisances que risque de causer, pendant les quinze ans que devraient durer les travaux, la noria de camions qui desserviront le chantier de creusement du tunnel de 53 kilomètres entre l'Italie et la France. D'autre part, ce tunnel impliquant le creusement de couches rocheuses contenant de l'amiante et de l'uranium, les habitants en craignent les conséquences.

La réaction de rejet est d'autant plus compréhensible que rien n'a été fait pour consulter la population locale et lui donner des garanties sur les conditions dans lesquelles se dérouleront les travaux et sur leur impact environnemental. Enfin, à ceux qui les accusent d'être opposés au progrès représenté par le TGV, les comités "No-Tav" (No al treno ad alta velocità) ont de quoi répondre: pourquoi cette dépense d'au moins 15 milliards d'euros pour gagner une heure et quelques sur le trajet Lyon-Turin, alors que, selon une étude, l'adaptation de la voie et du tunnel actuels seraient suffisants et coûteraient moins de deux milliards? La façon dont une partie des travaux ont été adjugés à l'entreprise de famille du ministre des transports Lunardi est peut-être la réponse.

Pour la population, des trains à grande lenteur

Les opposants au projet demandent aussi pourquoi donner cette priorité à un TGV que seule une minorité utiliserait, alors que l'ensemble du réseau ferré italien, faute d'investissements, est dans un véritable état d'abandon. Tous ceux qui utilisent quotidiennement le train pour se rendre à leur travail doivent endurer les conséquences de trains lents, délabrés et souvent en retard, quand ce n'est pas carrément en panne. La sécurité laisse aussi à désirer comme l'a encore montré la collision qui s'est produite le 20 décembre entre deux trains dans une gare au sud de Rome. Le machiniste n'aurait pas vu un signal rouge, mais le train n'était pas équipé du système de sécurité entraînant l'arrêt automatique. Il y a un an, au mois de janvier 2005, une collision du même type sur une voie unique en banlieue de Bologne avait fait 17 morts.

Après l'accident du 20 décembre, Trenitalia, la société qui gère les transports ferroviaires, a préféré reporter à plus tard l'inauguration de la ligne TGV Rome-Naples, prévue le lendemain. Le mécontentement monte en effet contre sa légèreté doublée d'arrogance. Depuis le 11 décembre, de nouveaux horaires sont en place qui, en "régionalisant" les trains, aboutissent à les rendre encore plus malcommodes et à multiplier les retards. Cela n'a pas empêché des publicitaires de vanter le train dans un spot où un acteur annonce que, pour les fêtes, il va "retrouver l'oncle Piero à Matera grâce à Trenitalia". Hélas, les auteurs du spot ignoraient semble-t-il que la gare de la ville de Matera, dont la construction a commencé dans les années 1990, attend toujours d'être reliée au réseau Trenitalia!

Travaux interrompus

Face à cette politique "à deux vitesses" des dirigeants des chemins de fer italiens, et du gouvernement, le refus du TGV de la part des habitants du Val de Suse rencontre donc une compréhension certaine. Le gouvernement a bien fait évacuer violemment par la police, début décembre, les manifestants occupant le chantier du TGV. Mais quelques jours plus tard, arrivant par les divers sentiers de montagne, ceux-ci ont réoccupé la place. Des manifestations massives ont eu lieu, dont l'une à Turin, le 17 décembre. Tout en accusant les manifestants de créer violence et désordres, le gouvernement Berlusconi a dû céder du terrain devant la mobilisation. Il a promis de bloquer les travaux dans l'attente d'une étude des projets alternatifs et d'une discussion avec les maires de la vallée.

L'affaire ne fait sans doute que commencer. Des dissensions se font jour entre les maires, prêts à une concertation avec les pouvoirs publics, et les comités "no-Tav" opposés à un compromis. Les partis de centre gauche, qui pourraient succéder au printemps au gouvernement de Berlusconi, évitent de s'engager.

Reste qu'on ne peut que se sentir solidaire des habitants de la Vallée de Suse dans leur lutte. Ceux-ci n'acceptent pas qu'au nom du progrès, on leur impose n'importe quoi. Et si en effet le train à grande vitesse est un progrès, il ne dispense pas de demander des comptes sur les priorités choisies, sur le tracé, sur la façon dont les fonds sont dépensés et à qui ils profitent, sur cette gestion des chemins de fer et des transports ferroviaires qui se fait au mépris des besoins réels de la population et des intérêts du personnel. Il est à souhaiter que la lutte de la population du Val de Suse contribue à mettre vraiment cette politique en accusation.

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