Une bataille boursière met aux prises deux géants de l'acier: Arcelor d'un côté -numéro 2 mondial issu de la fusion d'Usinor, Aceralia et Arbed- et ThyssenKrupp de l'autre. Le premier a mis 3,2 milliards sur la table pour s'offrir le trust canadien Dofasco. Qui dit mieux? ThyssenKrupp a surenchéri à 3,5 milliards, 40% au-dessus du cours en Bourse des actions Dofasco. En 2005, les trusts de l'acier ne savent réellement plus quoi faire de leurs profits.

Le numéro 1 du secteur, Mittal Steel, a multiplié ses bénéfices par 4 en 2004: il a empoché 3,9 milliards, soit 2114euros tous les mois sur le dos de chacun des salariés du groupe. Et, histoire d'en faire encore plus, Mittal a annoncé vouloir supprimer le quart de ses effectifs.

Arcelor, lui, a multiplié ses bénéfices par neuf en 2004. Et 2005 s'annonce prometteur. Rien que pour le troisième trimestre de cette année, il annonce un profit de 657 millions, soit 2330 euros par salarié et par mois. La«rentabilité des capitaux engagés», comme disent les boursicoteurs, est colossale chez Arcelor: elle a atteint 26% en 2004, alors qu'en général les actionnaires espèrent 15%. Arcelor a ainsi 6 milliards dans sa musette pour s'acheter des usines existantes. US Steel pourrait être sa prochaine cible.

ThyssenKrupp, lui aussi, est plein aux as. Son résultat 2004 -1,8 milliard- est qualifié d'historique.

L'envolée des bénéfices des trusts de l'acier explique la frénésie d'acquisitions d'usines dans le monde. C'est à coups de milliards qu'ils font leurs emplettes, Mittal Steel se taillant pour l'instant la part du lion. En octobre dernier il a acquis, au nez et à la barbe d'Arcelor, le groupe ukrainien Krivorijstal pour quatre milliards.

Ces acquisitions sont, bien abusivement, appelées investissements par les médias, alors qu'il ne s'agit de rien d'autre que d'échanger des droits à encaisser des dividendes. Tous ces milliards dépensés ne vont pas être utilisés à construire une seule nouvelle usine.

Et dire que, pendant trente ans, on nous a parlé de la «crise de la sidérurgie»! Cela a permis de justifier les suppressions d'emplois et les aides massives de l'État qui ont pris en France la forme de la nationalisation. Mais, trente ans plus tard, les anciens maîtres de forges, les De Wendel, les Schneider, les Empain, se portent à merveille. Les héritiers Thyssen font partie des 300 familles les plus riches de Suisse et de nouveaux très riches sont apparus, comme Lakshmi Mittal, propriétaire de Mittal Steel, aujourd'hui 3e fortune de la planète selon le classement du magazine Forbes.

Les sacrifiés de ce Monopoly mondial, ce sont les revenus des travailleurs, en particulier par les suppressions d'emplois. Rien qu'en France, 150000 salariés étaient employés dans la sidérurgie dans les années 1970. Il en reste moins d'un tiers aujourd'hui pour une production identique, autour de 20 millions de tonnes par an (21 en 2004).

La même production réalisée, avec 100000 travailleurs en moins... Il n'y a pas à chercher bien loin l'explication des bénéfices colossaux réalisés par les trusts de l'acier. Mais cela en dit long sur le mensonge que représentent tous les discours sur «la crise», hier de la sidérurgie... mais aujourd'hui du textile et bien d'autres secteurs.