«J'ai demandé ( ) d'abandonner la méthode globale» (d'apprentissage de la lecture): c'est par ces fortes paroles que Gilles de Robien, ministre de l'Éducation, a voulu montrer qu'il prenait à bras le corps le problème de l'éducation et de l'échec scolaire, en particulier pour les enfants de milieux défavorisés.

Cela s'appelle enfoncer vigoureusement une porte ouverte. Car depuis 1992, la méthode dite globale a été abandonnée par l'Éducation nationale, comme en témoigne, par exemple, la dernière version des programmes de l'école primaire, publiée en 2002 et préfacée par un certain... Gilles de Robien.

Bien entendu, on peut, et on doit, s'interroger sur l'efficacité relative des différentes méthodes pédagogiques. Encore faudrait-il le faire en jugeant sur la base d'études rigoureuses. Malheureusement, aucun gouvernement n'a jamais voulu mettre un centime pour que de telles études soient effectuées.

En attendant, la proclamation de Robien est là pour faire diversion et faire oublier les restrictions du nombre d'enseignants. Car si la méthode pédagogique est certes importante, la meilleure des méthodes ne surmontera pas le fait que les enfants des milieux défavorisés apprennent à lire trop tard dans des classes surchargées où les enseignants ne peuvent pas faire du sur-mesure. Ce n'est certainement pas cette méthode abandonnée depuis 13 ans qui explique le nombre dramatiquement élevé d'enfants qui arrivent au collège sans lire et écrire correctement. Il y en aurait, selon les chiffres, entre 15% et 25%; et si en moyenne, 4% des enfants qui entrent en sixième ne savent pas du tout déchiffrer un texte, cette proportion atteint 11% en ZEP.

Dans l'immense majorité des cas, les enfants qui éprouvent des difficultés d'apprentissage de la lecture sont ceux qui maîtrisent mal la langue au départ, ceux qui partent avec des handicaps de vocabulaire, et par la suite de culture.

C'est une évidence: ces enfants ne pourraient être aidés que s'ils y étaient accueillis dans des classes peu nombreuses, avec des instituteurs qui pourraient de ce fait leur consacrer davantage de temps et d'attention. Et c'est une autre évidence que l'apprentissage de la lecture pourrait commencer avant le cours préparatoire, dès l'école maternelle, dans une mesure bien plus large qu'aujourd'hui. Car c'est à cet âge qu'encadrés en petits groupes, en particulier dans les quartiers défavorisés, les enfants pourraient acquérir non seulement les éléments de déchiffrage de l'alphabet, mais aussi, et peut-être surtout, une meilleure connaissance et maîtrise du vocabulaire indispensables pour leurs progrès ultérieurs. Mais comment pourraient-ils le faire dans des classes de 30, 31 voire 32 gamins où l'on parle 5 voire bien plus de langues différentes, et où les maîtres n'ont pas les moyens de leur enseigner suffisamment la langue française.

Alain Bentolila, linguiste et conseiller scientifique de l'Observatoire sur la lecture affirme: «Le ministre appuie sur un point qui n'est pas sans intérêt, mais son discours est partiel et biaisé. Il repose sur deux idées fausses: celle que tout se joue au CP, à partir du choix d'une méthode de lecture» (cité par le Monde). Et l'article du Monde de poursuivre: «les prémisses de l'échec apparaissent dès la grande section. En arrivant au CP, un élève moyen connaît quelque 1200 mots, tandis qu'un élève en grande difficulté n'en connaît que 300. Résultat, ce faible "dictionnaire mental" fait qu'il a quatre fois moins de chances d'associer un son à un sens». Alain Bentolila explique: «Il échoue non pas parce qu'on ne lui pas appris à déchiffrer, mais parce que ses possibilités lexicales ne lui permettent pas d'atteindre son but. C'est la maîtrise linguistique qui est en cause».

Un développement suffisant de la prise en charge des jeunes enfants en maternelle et en primaire, avec un apprentissage précoce de la lecture, aurait à n'en pas douter des effets considérables sur la réduction de l'échec scolaire au collège.

Mais une telle politique demanderait au gouvernement, il est vrai, un tout autre effort, en moyens financiers et en personnels, que quelques discours affolés.