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Grande-Bretagne : Quand le "progrès social" devient prétexte à régression
Cela fait longtemps que ministres travaillistes et représentants patronaux rabâchent à la classe ouvrière britannique un air bien connu: l'espérance de vie augmentant, le "poids" des retraités sur la société va rapidement devenir "insupportable" et il faut donc faire quelque chose pour le réduire. Comment? C'est à cela que répond le rapport de la commission Turner, rendu public le 30 novembre après trois années d'"étude" du probléme.
La composition de cette commission mise en place par Blair est en soi tout un programme. Composée de trois membres, outre un universitaire "spécialiste de la pauvreté" (sic!), elle est présidée par Adair Turner, ancien président de l'équivalent anglais du Medef et actuel membre du conseil d'administration de plusieurs grandes banques internationales. Son troisième membre est Jeannie Drake, ex-présidente de la centrale syndicale TUC et secrétaire-générale adjointe en exercice du Syndicat des Travailleurs de la Communication (CWU). Autant dire que le rôle de cette commission était de préparer un consensus entre le grand patronat et les appareils syndicaux.
Bien entendu, pour cette commission, il n'était pas question de s'en prendre aux huiles du secteur privé qui, bon an mal an, se font verser des dizaines de milliers d'euros dans des plans de retraite personnels. Car il paraît que ces gens-là ne coûtent rien, ni à l'État ni à la collectivité. En fait c'est un mensonge grossier. Ces retraites mirobolantes, parce qu'elles sont libres d'impôts, constituent une partie importante du mécanisme de redistribution des profits des entreprises à l'avantage de la bourgeoisie. À tel point qu'on estime que, chaque année, le manque à gagner fiscal pour chacun des directeurs des cent plus grandes entreprises britanniques équivaut au montant total de ce que verse l'État à 375 salariés retraités!
Mais qu'importe! Pour la commission Turner, le problème n'est pas le parasitisme du capital, mais la "dépendance" des retraités salariés à l'égard des fonds publics -"dépendance" qui n'est, bien sûr, pas mise au compte de la faiblesse des salaires, mais de l'"imprévoyance" desdits salariés!
Comme il faut bien se donner un air "social", le rapport Turner fait mine de s'intéresser au sort des deux millions de retraités (près de 20%) qui vivent en dessous du seuil de pauvreté. Mais selon les calculs effectués par la Convention nationale des retraités, le "coup de pouce" préconisé par ce rapport pour les retraites les plus basses équivaudra à une augmentation de 8 euros par mois en 2010! Autant dire que la pauvreté n'est pas près de disparaître parmi les retraités.
Les deux principaux axes de ce rapport concernent l'âge de la retraite et le mécanisme de paiement.
Sur l'âge de la retraite, le rapport Turner préconise une échelle mobile basée sur l'espérance de vie moyenne, avec une augmentation à 67 ou 68 ans dans les vingt années à venir (il faut dire que l'équivalent anglais du Medef réclame, lui, la retraite à 70 ans). Telle devrait être, selon le rapport Turner, l'expression du progrès social. Comme si, dans cette société où les profits patronaux déterminent les conditions de travail, le fait de travailler plus longtemps pouvait constituer un progrès! C'est d'autant plus scandaleux que, par exemple, l'espérance de vie moyenne chez les OS anglais est aujourd'hui de 67 ans.
Quant au paiement des retraites, le rapport Turner préconise la mise en place d'un Fonds national d'épargne, dont les versements viendraient s'ajouter à la retraite d'État de base actuelle (500 euros par mois, à condition d'avoir cotisé pendant 44 ans). Les salariés y verseraient 4% de leurs salaires nets, la cotisation patronale s'établirait à 3% (la moitié de ce que paient les grandes entreprises ayant leur propre caisse de retraite complémentaire maison) et l'État abonderait à hauteur de 1%. Les sommes versées à ce Fonds seraient gérées par des banques et compagnies d'assurances accréditées, leur donnant ainsi accès à un énorme pactole pour jouer sur les marchés financiers.
Surtout, les entreprises pourraient transférer leurs caisses complémentaires à ce Fonds national. Non seulement leurs cotisations en seraient réduites, mais elles pourraient faire prendre en charge par l'État, d'une façon ou d'une autre, les énormes déficits actuels de ces caisses -déficits qui résultent directement des prélèvements que le patronat a effectués dans les années 1980-90, à l'époque où les cours boursiers s'envolaient.
Au bilan, les conclusions du rapport Turner sont que les travailleurs devraient s'user plus longtemps pour le profit du capital -quitte à mourir à la tâche pour certains- et payer plus pour une retraite qui ne leur permettra même pas de vivre décemment. Tandis que l'État devrait prendre à sa charge, aux frais des contribuables, donc essentiellement des mêmes salariés, une part plus importante des coûts salariaux des entreprises.
Voilà un bel exemple de ce que signifie le mot "progrès" dans cette société!