SNCF : Les leçons d’une grève reconductible... qui ne l’était pas02/12/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/12/une1948.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

SNCF : Les leçons d’une grève reconductible... qui ne l’était pas

La grève «reconductible» à la SNCF, démarré lundi 21novembre, n'aura guère duré... plus d'une journée. Tout juste le temps pour la direction de faire quelques propositions, pour Chirac de venir en personne à la télévision donner soi-disant quelques garanties et pour les directions syndicales d'inciter dès mardi soir à la reprise du travail.

Le gain pour les travailleurs est pourtant des plus modestes: 0,3% d'augmentation (4,5 euros pour un salaire de 1500 euros mensuels, au-dessus de celui d'une bonne partie des cheminots, et de plus à valoir sur les futures augmentations de 2006), une prime de 120 euro minimum (et de plus hiérarchisée, donc profitant aux plus hauts salaires, ceux qui n'ont pas fait grève ou même s'y sont opposés). Cela paie peut-être la journée de grève, mais c'est bien loin de remédier à la dégradation du niveau de vie comme à la réduction continue des effectifs.

Le coup était bien préparé. Tant par la direction et le gouvernement que par les fédérations syndicales. D'abord par l'absence totale de revendications claires: en appelant à faire grève sur les salaires, l'emploi ou la privatisation, sans rien chiffrer ni préciser à l'avance, elles se donnaient les moyens de présenter n'importe quelle proposition de la direction comme une avancée justifiant la reprise (exactement ce qui s'est produit). Et en revanche elles ne donnaient aucune raison de se lancer aux nombreux cheminots indécis ou méfiants. D'autant plus qu'en multipliant les déclarations conciliantes dans la semaine qui a précédé, les dirigeants fédéraux adressaient un message: ne prenez surtout pas au sérieux nos déclarations bravaches sur la grève reconductible, nous n'avons pas l'intention de conduire une vraie grève jusqu'à satisfaction!

C'est donc presque un miracle que tant de cheminots aient quand même fait grève (car les 23% de participation annoncés par la direction de la SNCF étaient une falsification grossière; une fois décomptés la maîtrise, les cadres et les cheminots en repos ce jour là, le chiffre était bien supérieur: la SNCF elle-même a d'ailleurs annoncé 33% pour «l'exécution»). Un miracle? Non, la preuve qu'il y a au moins une minorité déterminée, prête à saisir l'occasion d'en découdre. C'est d'ailleurs celle-ci que la tactique des fédérations syndicales vise à décourager.

Et pourtant, aussi arrangée par avance avec la direction et le gouvernement qu'elle ait été, cette grève qui a fait long feu leur a fait peur. Il est en effet rare de voir le patron négocier dès les premières heures, avant même de savoir si la grève est un succès ou pas. Et il est encore plus rare de voir le président de la République lui-même venir donner des prétendues garanties à des travailleurs en grève. Oui, ils avaient peur, peur que les travailleurs de la SNCF, une entreprise au centre de la vie économique et sociale, donnent l'exemple à tous les autres salariés.

Peur, car les aspirations des cheminots, hausses des salaires, embauches, refus de la privatisation des services publics, sont celles de tous les travailleurs. Aspirations exprimées depuis deux mois tant par la participation à la journée interprofessionnelle du 4octobre, que surtout dans de nombreux conflits locaux dont la grève de 24jours à la SNCM, et celle de 46jours des traminots de la RTM.

Le comportement des dirigeants syndicaux la semaine dernière n'est que le dernier avatar en date d'une politique délibérée pour entraver une riposte d'ensemble des travailleurs, dont ils ont au fond aussi peur que le gouvernement et les patrons. Et de tous, sans exception: la CGT en premier lieu qui a la responsabilité d'être le syndicat le mieux implanté tant à la SNCF qu'à la SNCM ou à la RTM, mais aussi SUD-Rail, second syndicat à la SNCF, plus radical paraît-il, mais dont les dirigeants fédéraux ont eu exactement la même attitude que ceux de la CGT. Sans parler évidemment des dirigeants de la CFDT qui n'ont pris aucun risque et se sont affirmés, dès le départ, hostiles à la grève.

Les leçons de toute cette comédie (qui s'est jouée malheureusement sur le dos des travailleurs du rail)?

D'abord la nécessité de formuler des revendications qui vaillent le coup d'entrer en lutte et qui pourraient permettre de trouver la solidarité d'autres corporations, voire de les entraîner: 300euros d'augmentation uniforme mensuelle, l'interdiction des licenciements et des embauches massives, l'annulation de toutes les privatisations des services publics réalisées par les gouvernements successifs depuis 20 ans...

Et la nécessité ensuite de contrôler nous-mêmes nos grèves, leur préparation comme leur conduite, dans des assemblées générales et des comités de grève tenus et dirigés réellement par les grévistes eux-mêmes.

Et si les nombreux militants de la CGT, de Sud et des autres, les syndiqués et les grévistes abasourdis ou écoeurés par cette fausse grève, en tirent cette leçon, les fédérations syndicales surtout préoccupées de leurs bonnes relations avec les patrons ou le gouvernement ont peut-être autant de soucis à se faire que ces derniers... et dans un avenir pas si lointain.

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