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Dans le monde
Azerbaïdjan : Hydrocarbures et dictature
Dénoncées par l'opposition comme "les plus frauduleuses de toute l'histoire de l'Azerbaïdjan", les élections législatives du 6 novembre dans la plus riche (grâce au pétrole) des trois républiques caucasiennes de l'ex-Union soviétique ont été une farce. Et que le parti du pouvoir, celui du dictateur Ilham Aliev, ait accepté, pour complaire à ses soutiens occidentaux, de se contenter, cette fois, de 58% des voix et d'à peine plus que la majorité des sièges de députés, ne change rien à l'affaire.
Urnes bourrées, ou volées, électeurs intimidés, résultats trafiqués... comme d'habitude, le régime n'a pas lésiné sur les moyens. La population ne se faisait d'ailleurs guère d'illusions sur ce simulacre (comme sans doute à l'égard de l'opposition officielle), à en juger par le taux d'abstention, quand le pouvoir lui-même reconnaît que moins d'un électeur sur deux est allé voter.
Puisque les grandes puissances occidentales lui demandaient d'y mettre les formes, Aliev a tenté d'habiller la campagne électorale, puis les résultats dans ce sens. Mais, il ne fallait pas trop lui demander.
Ilham Aliev a reçu le pouvoir, il y a deux ans, des mains du président-dictateur de l'Azerbaïdjan, son propre père, Geïdar Aliev, un très haut bureaucrate du temps de l'URSS, membre du Bureau politique brejnevien et patron local du KGB, la police politique, resté au pouvoir après 1991. Son fils, qui avait la haute main sur la compagnie pétrolière nationale, et surtout sur ses revenus, a continué sur les brisées de son père. Des manifestants contestant, fin 2003, ce premier cas de succession dynastique en ex-URSS, Aliev-fils les fit sauvagement attaquer par sa police (il y eut des morts, dont certains sous la torture). Un journaliste se montrait trop curieux; il fut assassiné. Trois ministres étaient soupçonnés de prendre leurs distances avec le clan Aliev à la veille des législatives; ils atterrirent en prison, sous l'accusation de complot.
Avant ce scrutin, le Département d'État (ministère des Affaires étrangères) américain avait, sans rire, appelé les Azerbaïdjanais à "profiter des opportunités démocratiques émergentes pour que les élections correspondent aux critères internationaux". Le chef de la délégation du Conseil de l'Europe chargée d'établir cette "correspondance", malgré toute sa bonne volonté, vient de déclarer qu'il lui était "impossible de dire que ces élections ont été libres et justes". Pensez donc, pendant la campagne, déclare un parlementaire américain au nom de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe), le régime a fait "un usage disproportionné de la force pour empêcher les manifestations" et procédé à des "détentions arbitraires". Ah, si Aliev avait bien voulu faire un usage "civilisé" de la force...
Seulement voilà, digne successeur de son père, Aliev-fils ne se refait pas. Pas plus, d'ailleurs, que ses conseillers occidentaux en démocratie. Alors que l'opposition azerbaïdjanaise appelait à manifester pour obtenir l'annulation du scrutin, un secrétaire d'État adjoint américain faisait savoir qu'il "est bien préférable de parvenir à la démocratie à travers des réformes". Autrement dit, si certains opposants azerbaïdjanais rêvant de "révolution des roses", comme en Géorgie en 2003, ou de "révolution orange", comme en Ukraine en 2004, s'imaginent qu'ils vont recevoir même une partie de l'aide que l'Occident, États-Unis en tête, avaient déversée alors sur des dirigeants géorgiens ou ukrainiens labellisés "démocrates", ils se trompent.
La dictature des Aliev, avec sa façon très particulière de promouvoir les "réformes", convient aux puissances occidentales. En tout cas, elles s'en satisfont tant que les intérêts de leurs compagnies pétrolières sont bien servis. Les puits de pétrole de Bakou où les "majors", notamment américaines, sont bien représentées; les ports azerbaïdjanais où accostent les tankers venus du Kazakhstan et du Turkménistan (autres pétro-États issu de la décomposition de l'URSS); la sécurité de l'oléoduc Bakou - Tbilissi (en Géorgie) - Ceyhan (en Turquie), qui doit entrer en service fin 2005 et drainer vers la Méditerranée le pétrole d'Azerbaïdjan et une bonne partie de celui de l'Asie centrale; plus le fait que l'Azerbaïdjan puisse servir de base d'appui stratégique, sinon militaire, aux États-Unis face à la Russie et à l'Iran voisins... tout cela rend finalement Aliev très présentable aux yeux des dirigeants du monde impérialiste.