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- Lutte ouvrière n°1944
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Leur société
Au Sénat, droite et gauche d'accord sur l'amiante : Les industriels sont responsables... mais on ne pourra pas les condamner !
Le rapport du Sénat sur l'amiante qui vient d'être rendu public a souligné les responsabilités des industriels, la complicité de l'État et des dirigeants politiques, et mis en relief l'impossibilité pour les victimes d'avoir un procès pénal pour juger des responsabilités dans ce qui est sans doute la plus grande catastrophe sanitaire du pays.
Des milliers de manifestants, en octobre, à Paris, avec à leur tête les " veuves de Dunkerque ", réunis par l'Association nationale des victimes de l'amiante, l'Andeva, ont réclamé l'abrogation de la loi du 10 juillet 2000 que le gouvernement Jospin a fait adopter. En effet, c'est en se basant sur cette loi que la cour d'appel de Douai a rejeté l'action " des veuves de Dunkerque " qui réclamaient le procès pénal des coupables.
C'est Élisabeth Guigou, ministre de la Justice de Jospin, qui en 2000, au nom du gouvernement, avait repris à son compte, en la modifiant, une proposition de loi d'un sénateur centriste, Fauchon, qui correspondait exactement à ce que souhaitait le gouvernement.
La portée réelle de cette nouvelle loi a été dissimulée à l'époque derrière l'écran de fumée des poursuites pénales contre certains maires pour des responsabilités indirectes d'accidents dans leurs communes. Certes, dans certains cas, cette mise en cause pénale des maires pouvait paraître démesurée et choquante, mais cela restait un problème marginal par rapport à celui des centaines de milliers de victimes de la négligence, pour ne pas dire plus, des industriels et des décideurs politiques, qui font passer les profits et les économies avant la vie des travailleurs et de la population.
Or, c'est en partant des problèmes juridiques rencontrés par les maires, qu'au nom de " l'équité " et " d'une justice qui doit être égale pour tous ", la ministre et tous les partis politiques siégeant à l'Assemblée et au Sénat, sans exception et dans une unanimité touchante, ont étendu la notion de " délit non-intentionnel " que créait cette loi à tous les employeurs, à tous les hauts-fonctionnaires et à tous les responsables politiques. Cette nouvelle notion de " délit pénal non-intentionnel " institue ce qu'on a appelé le " responsable mais pas coupable ". Car pour qu'un patron, un élu ou un ministre puissent être poursuivis sur le terrain pénal il faudra des conditions cumulatives réunies de façon si improbable, que les poursuites le deviennent tout autant.
Pourtant, ce qui était vraiment choquant, depuis toujours, c'était la quasi-impunité reconnue aux patrons de l'industrie et du bâtiment, responsables de milliers de morts, de dizaines de milliers de mutilations ou d'invalidités définitives, d'utilisation sans respect des règles de sécurité de produits toxiques ou dangereux entraînant des séquelles irréversibles.
C'est au moment où le gouvernement Jospin a mis sur pied un fonds d'indemnisation public pour les victimes de l'amiante, en vue de protéger financièrement les patrons, coupables des empoisonnements massifs, du poids de la réparation de leurs délits, qu'il a fait, en connaissance de cause, adopter cette loi, qui renforçait leur protection juridique, et celle des gouvernants, sur le plan pénal.
D'ailleurs il faut noter que si la presse a fait du bruit sur le rapport du Sénat qui se contente de reprendre tout ce qui a été rendu largement public en 1996, la commission, dans laquelle tous les groupes parlementaires de droite et de gauche étaient représentés, qui a rédigé ce rapport, se garde bien de proposer l'abrogation de la loi du 10 juillet 2000. Elle affirme sans rire que cette loi ne rend pas impossible toutes poursuites pénales mais qu'elle est seulement mal appliquée... et difficile à bien appliquer !
Il est vrai que l'art de la politique pour tous ces partis de gouvernements consiste à amuser la galerie par des rapports, des discours, de la fausse compassion sur le devant de la scène, tout en faisant exactement le contraire quand il s'agit de prendre les vraies décisions.