1905,la première révolution russe21/10/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/10/une1942.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Divers

1905,la première révolution russe

Il y a cent ans, dans une Russie où sévissait encore le régime tsariste, éclatait la grève générale politique qui allait être le prologue de la révolution. Déclenchée en octobre 1905 à Saint-Pétersbourg, elle s'étendit rapidement à tout l'Empire russe, obligea le tsar a accorder un semblant de Constitution et fut, avec l'insurrection de Moscou en décembre, l'un des points culminants d'une année fertile en événements.

Des grèves et des manifestations à la grève générale

Tout avait commencé par la répression sanglante d'une manifestation pacifique, le 9 janvier 1905. Les ouvriers venus demander aide et protection au tsar avaient été accueillis par les sabres et les fusils des cosaques, laissant plusieurs centaines de morts. Ce massacre, loin de décourager les ouvriers, avait été suivi par une vague de grèves partielles, entraînant tour à tour toutes les catégories de travailleurs et toutes les régions de cet immense pays, de Varsovie à Vladivostok et d'Odessa à Saint-Pétersbourg. Ces grèves étaient l'occasion de manifestations et de meetings de masse dans lesquels les révolutionnaires, pour la première fois, purent s'exprimer librement. Si elles débutaient à partir de revendications économiques (les huit heures, les salaires, les conditions de travail), elles s'approfondissaient souvent en débouchant sur des revendications politiques telles que les libertés civiques, l'amnistie pour les prisonniers politiques, la convocation d'une Assemblée constituante qui mettaient en cause le régime lui-même. Bien plus que la propagande des militants, c'est la marche même des événements, et l'expérience, qui politisaient les grèves et les ouvriers. "Les sabres des cosaques font entrer le socialisme dans la tête des travailleurs russes", disait Lénine.

D'autres catégories sociales, paysans, bourgeois libéraux, étudiants, manifestaient également leur mécontentement et leur rejet du régime tsariste. Dans les villes, la population, essentiellement les ouvriers, affrontait fréquemment l'armée et la police et on vit même plusieurs cas de mutineries, des soldats se joignant aux manifestants. En mer Noire, les marins du cuirassé Potemkine, révoltés du régime que leur faisaient subir les officiers, s'emparèrent de leur navire.

Le tsarisme, ce régime médiéval qui se survivait à lui-même, apparaissait aux yeux de toute la population pour ce qu'il était: un parasite anachronique qui empêchait par la force tout progrès politique et social. Ce régime faisait l'unanimité contre lui mais, appuyé sur son vaste appareil de répression, soutenu par les bourgeoisies occidentales auxquelles il garantissait de confortables rentes, comptant sur la passivité de l'immense masse des paysans, il ne reculait pas.

C'est dans cette situation effervescente que les cheminots entamèrent, le 9 octobre, une grève pour les huit heures, les libertés civiques, l'amnistie et l'Assemblée constituante. Elle se généralisa rapidement. "La grève s'étend maintenant à tout le pays et le domine. Elle se défait de toutes ses hésitations. À mesure que le nombre de grévistes augmente, leur assurance devient plus grande. Au-dessus des revendications professionnelles, s'élèvent les revendications révolutionnaires de classe. En se détachant des cadres corporatifs et locaux, la grève commence à sentir qu'elle est elle-même la révolution, et cela lui donne une audace inouïe." Ainsi la décrit Trotsky, qui allait être un des principaux dirigeants du mouvement, dans son livre 1905. Non seulement le pays tout entier était arrêté mais, par bien des aspects, il était entre les mains des travailleurs en grève. Devant une telle puissance, le tsar fut obligé de lâcher du lest. Le 17 octobre il publia un manifeste qui, pour la première fois, annonçait des élections politiques.

Ce que ni les discours et les articles des libéraux bourgeois, ni les bombes des terroristes populistes de la Liberté du Peuple n'avaient pu obtenir, la classe ouvrière, pourtant très minoritaire dans la population, l'avait arraché par sa mobilisation et sa force révolutionnaire.

Les soviets et la révolution

Au cours de ces événements, le prolétariat russe allait forger les premiers "soviets": les ouvriers en lutte élisaient leurs délégués qui, se réunissant en conseil (soviet), dirigeaient la grève, à l'échelle d'une usine, d'un quartier puis d'une ville, voire d'une région. Les soviets, particulièrement celui de Saint-Pétersbourg, capitale politique et économique du pays, acquirent une telle autorité parmi les travailleurs qu'ils dirigèrent, de fait, la lutte révolutionnaire pendant les quelques semaines de leur existence. Retrouvant les pratiques de la Commune de Paris, les travailleurs se dirigeaient eux-mêmes, au travers de délégués choisis en leur sein et révocables à tout moment. Ils portèrent tout naturellement à leur tête des ouvriers et militants révolutionnaires, dont Léon Trotsky, à la présidence du soviet de Saint-Pétersbourg. D'organes de combat, les soviets tendaient à se transformer en organes de pouvoir, régissant, outre la lutte politique et sociale, les transports, l'approvisionnement, la répartition des vivres, la sécurité (y compris par l'armement de milices ouvrières).

Cette révolution russe de 1905 allait finalement être vaincue. Les ouvriers finirent par se retrouver seuls à lutter contre le régime tsariste. Les soviets furent dispersés par la force, leurs dirigeants emprisonnés et l'insurrection de Moscou noyée dans le sang. Il fallut attendre 1917, les contradictions du régime ayant été portées au vif par la guerre mondiale, la révolte paysanne rejoignant la révolution ouvrière, pour voir la révolution ouvrière triompher.

Les événements de 1905 n'en furent pas moins, pour le mouvement ouvrier révolutionnaire de l'époque, la démonstration de la disponibilité du prolétariat à lutter, y compris sur le terrain révolutionnaire. La classe ouvrière russe en sortait avec l'expérience vivante d'une grève générale. En outre, grâce aux soviets, elle pressentait déjà ce que pouvait être le pouvoir des travailleurs. La prise du pouvoir par la classe ouvrière, à la tête de tous les exploités, n'était plus seulement un thème de propagande, elle devenait un objectif à portée de main, comme on allait le vérifier douze ans plus tard. Et, aujourd'hui, ces leçons gardent toute leur actualité.

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