Si Sharon est venu à Paris chercher une reconnaissance de la part d'un Chirac, connu pour sa politique dite pro-arabe, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il l'a obtenue sans peine. Le Premier ministre israélien et le chef de l'État français ont fait assaut d'amabilités, Sharon invitant Chirac à venir dans son ranch et Chirac offrant à Sharon une vache pour son cheptel. Au-delà des poignées de mains appuyées, des sourires de circonstance et des tapis rouges déroulés, Chirac a tenu à féliciter son hôte pour le désengagement de Gaza, sans toutefois évoquer la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem ou la construction du Mur qui se poursuivent. Tout juste a-t-il murmuré que le retrait de Gaza devait être un premier pas vers l'établissement d'un État palestinien, ce que répètent à l'envi tous les dirigeants occidentaux, à commencer par Bush, mais sans jamais entreprendre quoi que ce soit de concret ni imposer à Israël une politique qui reconnaisse les droits nationaux des Palestiniens.

Si donc, l'un des deux n'a pas infléchi sa politique, c'est bien Sharon. Il n'a rien promis sur le retrait israélien des territoires occupés afin que puisse être créé un État palestinien indépendant et viable. Autant dire que pour Sharon la mise en place du plan concocté par les États-Unis, la Russie, l'Union européenne et l'ONU et connu sous le nom de «feuille de route», pour vague qu'il soit, n'est pas à l'ordre du jour.

Dans une interview donnée au Figaro, juste avant sa venue en France, Sharon claironnait au contraire qu'il avait obtenu de Bush et du Congrès américain «que les grands blocs de populations juives puissent rester en place». Les États-Unis, a-t-il affirmé «sont d'accord pour dire qu'Israël ne pourra pas revenir aux frontières de 1949 ou de 1967. Les grands blocs d'implantations feront partie d'Israël avec une contiguïté au territoire d'Israël. C'est l'un de mes plus importants succès de mes négociations avec le président Bush».

De plus, l'armée israélienne vient d'annoncer la construction d'une triple clôture le long de la frontière avec Gaza, ajoutant deux barrières à celle qui entoure déjà le territoire palestinien. La première sera composée de barbelés, la seconde équipée de capteurs, caméras de surveillance, miradors et mitrailleuses commandées à distance. À certains endroits, il est même prévu de construire des murs de béton de sept mètres de haut. Bref, la politique honteuse d'enfermement des populations palestiniennes continue de plus belle et fera de Gaza une prison à ciel ouvert.

Concernant la Cisjordanie, à part quelques implantations mineures qui devraient être démantelées, aucune évacuation n'est prévue. Au contraire, les zones contrôlées par Israël ne cessent de s'étendre, en particulier autour de Jérusalem.

C'est donc Chirac qui en la circonstance a semblé modifier sa politique en présentant Sharon comme un homme dont la politique pourrait amener la paix. Mais est-ce un réel changement? Pas vraiment, car la politique dite pro-palestinienne et plus généralement pro-arabe des gouvernements français depuis de Gaulle s'est toujours limitée à quelques gestes en direction de certains dirigeants palestiniens et n'était destinée qu'à asseoir l'influence française dans les pays arabes, avec à la clé la perspective de contrats commerciaux juteux. Cela a en partie réussi, tout au moins en Irak, dans certains émirats ou encore en Égypte. Mais il n'y avait et il n'y a toujours rien d'autre derrière cette politique et en tout cas pas la volonté de soutenir les droits nationaux des Palestiniens et encore moins le désir de voir la situation des populations arabes s'améliorer.

En fait, les gouvernants français, quelle qu'ait été la politique qu'ils préconisaient, ont toujours été plus proches des dirigeants israéliens, ne serait-ce que parce que ceux-ci disaient pouvoir contenir d'éventuelles révoltes des populations arabes ou les écarts politiques de certains de leurs dirigeants. N'était-ce pas là d'ailleurs un des arguments mis en avant par les pères du sionisme pour justifier la création d'Israël, lorsqu'ils présentaient leur futur État comme pouvant être le phare de l'Occident face à la barbarie arabe?

Au terme de la rencontre Chirac-Sharon, s'il est apparu que le chef de l'État français n'était en fait qu'un faux ami des Palestiniens, un voile de mensonge aura été levé. Ce sera tout ce que cette rencontre a pu apporter de positif.