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Le «commerce équitable» entre utopie et mystification
Le «commerce équitable» est dans l'air du temps. Du 15 avril au 15 mai 2005, comme chaque année à la même époque, une quinzaine lui a été consacrée pendant laquelle on a pu voir des publicités vantant ses bienfaits pour les petits paysans d'Amérique du Sud, d'Asie du Sud-Est ou d'Afrique.
Quand ce type de commerce a commencé dans les années 1960, on parlait de commerce «alternatif». Des boutiques spécialisées comme celles d'Artisans du Monde proposaient, et proposent encore aujourd'hui, des tissages, des rotins et autres produits artisanaux ainsi que des produits alimentaires en provenance des pays pauvres. L'idée des fondateurs -des ONG- était d'appuyer des organisations de petits producteurs et artisans en leur ouvrant des marchés et en leur payant leur production artisanale à des tarifs dits équitables. Puis, à la fin des années 1980, est apparu le label Max Havelaar qui orne la plupart de ces produits: café, cacao, thé, riz, banane, ananas, etc. Un label qui est à lui seul tout un symbole puisque c'est le nom du héros d'un roman qui dénonce l'oppression des cultivateurs de café en Indonésie...
Le «commerce équitable» part d'un bon sentiment. Ses initiateurs, révoltés par la misère dans laquelle les petits producteurs des pays pauvres sont contraints de survivre du fait de la rapacité des trusts de la distribution, proposent d'y pallier par la mise en place de structures d'achat s'engageant à assurer une «juste rémunération» de ces agriculteurs et artisans afin, disent-ils, de leur permettre de satisfaire leurs besoins en matière de santé, d'éducation, de logement... Et, à l'autre bout de la chaîne, ils demandent donc aux consommateurs d'accepter de payer plus cher leurs produits et d'exprimer ainsi leur solidarité avec les plus démunis. Au Brésil, en Équateur et ailleurs le «commerce équitable» a ainsi permis l'accès à l'eau potable dans un village, la création de classes d'école dans un autre ou d'un hôpital ailleurs. Tant mieux pour ceux qui ont pu accéder ainsi à des conditions de vie un peu plus décentes. Mais combien sont-ils? Sur le milliard et demi d'hommes et de femmes qui survivent aujourd'hui en dessous du seuil de pauvreté, il y en aurait cinq millions qui seraient concernés par ce système, c'est-à-dire... 0,3%!
«Nous voulons avoir une certaine forme de démocratie sur le marché en créant un système où le producteur et le consommateur se mettent d'accord démocratiquement. Le producteur obtient suffisamment pour vivre décemment et le consommateur trouve un bon produit (...)» déclarait récemment un des fondateur du label Max Havelaar.
Dans le meilleur des cas, on pourrait le taxer d'utopie. Mais c'est aussi une tromperie qui s'appuie sur la générosité de nombre de consommateurs qui sont prêts à dépenser plus, quand ils en ont les moyens, dans l'espoir de panser quelques plaies dans les pays pauvres. Et c'est surtout une véritable mystification qui fait mine d'oublier que l'économie mondiale ne se résume pas à un marché du dimanche entre petits producteurs et consommateurs. Entre eux, il y a les trusts internationaux de l'agro-alimentaire qui fonctionnent, comme toutes les grandes entreprises industrielles de ce monde, en fonction non pas des besoins des populations, mais des profits de ces entreprises. Et on ne transformera pas les conditions de vie indignes des populations des pays les plus pauvres sans s'attaquer à cette logique du profit.
Par contre, dans un monde où les idées généreuses des uns sont utilisées sans vergogne pour permettre à d'autres de faire du profit, on voit les grandes surfaces, qui n'ont pourtant rien d'entreprises philanthropiques, mettre en rayons des produits «équitables», puisqu'il y a un marché pour cela. Et on voit aussi de grands trusts internationaux se servir de ces produits pour tenter de se blanchir. C'est ainsi que le groupe hôtelier Accor, à qui appartiennent les hôtels haut de gamme Sofitel, Mercure et autres Novotel, se paye le luxe de soutenir le commerce équitable en servant à leur clients du café, du thé et du chocolat Max Havelaar! Un des leaders mondiaux de l'hôtellerie utilisant le «commerce équitable» pour sa communication, ce n'est la moindre des duperies de celui-ci.