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Grande-Bretagne - Le "modèle britannique" : Subventions pour le patronat, précarité pour les travailleurs
Les origines du fameux "modèle britannique" de l'emploi remontent à la fin des années 1980, lorsque le gouvernement conservateur de Margaret Thatcher s'attaqua à l'indemnisation du chômage.
Depuis une décennie, Thatcher tentait sans succès de réduire le nombre des chômeurs indemnisés. Mais rien n'y avait fait, ni les multiples redéfinitions du chômage, ni le transfert des chômeurs âgés sous un autre régime, ni la mise en place de pseudo-formations dont la seule raison d'être était de faire sortir des jeunes chômeurs des statistiques officielles. Le nombre de chômeurs indemnisés restait obstinément au-dessus des trois millions.
À la fin des années 1980, Thatcher passa à l'offensive, d'abord en privant les chômeurs de moins de 18 ans de toute indemnité, puis en imposant aux "mauvais" chômeurs (par exemple ceux licenciés pour faute grave), une période de six mois sans allocation.
La chute de Thatcher, remplacée par John Major, au début des années 1990, s'accompagna d'une nouvelle récession et d'une montée du chômage. En même temps le patronat se mit à réclamer à cor et à cri que l'État réduise ses dépenses sociales et brise la résistance des chômeurs afin que ceux-ci soient contraints d'accepter les emplois sous-payés qui leur étaient offerts.
Aussi, à partir de 1994, le gouvernement Major s'attaqua-t-il à la fois à la durée d'indemnisation du chômage et à son montant. Les allocations chômage furent rebaptisées "allocation de chercheur d'emploi" (JSA), ce qui était en soi tout un programme. Et, en octobre 1996, lorsque la mise en place de la réforme fut terminée, la durée d'indemnisation de droit était passée de 12 à 6 mois, à laquelle venaient s'ajouter six autres mois, mais seulement pour ceux qui n'avaient ni biens, ni conjoint salarié. Quant au montant de la JSA, il était tombé à un niveau unique très bas, avec un niveau encore plus bas pour les moins de 25 ans. L'effet de ces mesures fut spectaculaire: en un an, un million de chômeurs disparurent des statistiques officielles!
Blair continue la politique de Thatcher
Pour sa part, tout en prenant position contre ces réformes à la Chambre des communes, le Parti travailliste avait soigneusement évité tout geste susceptible d'encourager une résistance quelconque. Et de fait, à la veille des élections de 1997 qui devaient le ramener au pouvoir, la question de l'indemnisation du chômage avait disparu de son manifeste électoral, tandis que ses ténors faisaient le tour des assemblées patronales pour vanter le "marché flexible du travail" promis par Tony Blair.
Une fois installés au pouvoir, en mai 1997, non seulement les dirigeants travaillistes ne remirent pas en cause les mesures de leurs prédécesseurs, mais ils entreprirent de les aggraver.
Dans un premier temps, ils multiplièrent les pressions sur les chômeurs. Les chômeurs indemnisés furent astreints à un suivi individuel, harcelés de "stages" obligatoires bêtifiants (en six mois, il n'était pas rare d'avoir à subir quatre ou cinq "stages" d'une semaine pour "apprendre" à rédiger un CV!). Puis, ils furent mis au pied du mur: ou bien ils prenaient le premier emploi venu, quels qu'en soient la nature et le salaire, ou bien ils étaient radiés.
L'ennui, pour Blair, c'est que les fonctionnaires des Jobcentres (équivalents des ANPE) ne montraient guère d'enthousiasme à appliquer cette politique. Alors le gouvernement eut recours à des "experts" pour faire le sale boulot, qui fut sous-traité à de grosses sociétés d'intérim, dont Reed International, qui avait compté, par ailleurs, parmi les plus gros sponsors de la campagne électorale de Blair.
Restait un obstacle essentiel à la politique de Blair: le système d'allocations sociales dont bénéficient tous les foyers à très bas revenus depuis 1945. Désormais, tout chômeur, indemnisé ou pas, fut menacé de perdre également tout ou partie de ses allocations sociales s'ils ne cherchait pas "activement" du travail. En même temps le système d'allocations sociales fut modifié pour favoriser les foyers dont un adulte au moins avait un emploi (même de quelques heures par semaine), tandis que les célibataires sans enfants cessèrent d'en bénéficier.
De filet de protection contre la pauvreté, le système d'allocations sociales se transforma peu à peu en instrument de coercition pour imposer précarité et bas salaires aux chômeurs. Pour reprendre presque mot pour mot les déclarations officielles d'un ministre travailliste, le but était que le travail des chômeurs équivale l'aide sociale qu'ils recevaient. Et tout était calculé pour que ces "chômeurs au travail" aient au total un revenu à peine supérieur aux allocations chômage. Mais au-delà, on pouvait également discerner un autre objectif: celui de subventionner indirectement le patronat, en compensant de cette façon les salaires de misère qu'il payait de plus en plus souvent à ce type de travailleurs précaires.
Aujourd'hui, Blair se vante d'avoir fait tomber le chômage au plus bas niveau européen. Il pourrait aussi se vanter (mais sans doute n'ose-t-il pas) du fait que les chômeurs britanniques sont parmi les plus mal indemnisés d'Europe: 360 euros par mois pour les plus de 25 ans et 280 pour les moins de 25 ans (par comparaison un salarié temps plein au salaire minimum gagne 1200 euros brut et un OS en 3x8 chez Ford gagne 2500 euros par mois, avec un coût de la vie environ 50% plus élevé en Grande-Bretagne qu'en France).
Des chômeurs cachés
Mais derrière les 750000 chômeurs britanniques indemnisés se cachent bien d'autres chômeurs réels. On les retrouve parmi les 2,9 millions de travailleurs placés par les services sociaux sous le régime de l'invalidité (dont de nombreux chômeurs de plus de 50 ans) ou parmi les près de 8 millions de travailleurs à temps partiel, faisant souvent un nombre ridicule d'heures par semaine. On retrouve des chômeurs non comptabilisés dans d'autres catégories pour lesquelles n'existe aucune statistique: par exemple, parmi les travailleurs contraints à devenir prestataires de services à leur compte, en particulier dans le bâtiment, mais également dans la maintenance électro-mécanique, ce qui permet à leurs anciens patrons de les employer uniquement quand ils ont besoin d'eux. Si l'on ajoute ainsi les différentes catégories de chômeurs cachés, on arrive à un total estimé à environ quatre millions, ce qui correspond presque exactement au chiffre d'il y a une décennie.
Le "modèle" britannique consiste donc simplement à cacher les chômeurs en les noyant dans la forêt des réglementations, ou encore en les condamnant à la précarité, tout en réduisant le peu de protection dont ils bénéficient et en utilisant l'"incitation à l'emploi" comme prétexte à de nouvelles subventions directes ou indirectes au patronat. Air connu! Blair et le patronat britannique ont juste un peu d'avance sur ce qu'avaient fait Jospin et ses prédécesseurs, et ce que voudrait faire Villepin.