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- Lutte ouvrière n°1920
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Extraits des allocutions d'Arlette Laguiller à la fête de Lutte Ouvrière (lundi 16 mai)
«Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
Malgré Raffarin, qui a fait un choix typiquement de classe en réservant aux seuls salariés, et non «à tous les Français», comme le dit mensongèrement la presse, le soin d'être solidaires des personnes âgées et des handicapés, notre pelouse est pleine de ceux qui ont refusé d'une façon ou d'une autre le choix cynique de Raffarin. Et je pense que la résistance à l'arbitraire de Chirac et Raffarin ne se limite pas à ceux qui sont ici.
Cette troisième journée de notre fête est traditionnellement consacrée à l'internationalisme
Comme tous les ans, nous avons accueilli des organisations venues de différents pays d'Europe, mais aussi d'Afrique et d'Amérique. Nous sommes très heureux de les accueillir et nous sommes fiers de pouvoir leur permettre de s'exprimer dans un cadre fraternel, quand bien même nous ne partageons pas ou pas complètement leurs idées.
Notre fête est le plus grand rassemblement d'extrême gauche non seulement ici, en France, mais probablement à l'échelle de l'ensemble de l'Union européenne. (...)
Nous nous revendiquons du communisme. Et être communiste, c'est être internationaliste. Il ne s'agit pas seulement d'une attitude morale ou d'une simple forme de solidarité. Notre internationalisme découle du fait que le communisme n'est possible que sur la base d'une économie déjà mondialisée par le capitalisme.
Notre courant a toujours rejeté cette déformation imposée au mouvement communiste par le stalinisme, et par ses sosies ultérieurs, qu'était le socialisme dans un seul pays. Notre conviction est que les liens économiques, les liens sociaux tissés entre tous les pays, entre toutes les régions du monde, sont tels qu'il n'y a d'avenir particulier pour aucun peuple de cette planète, pas même pour ceux qui vivent dans les pays les plus riches.
Le prolétariat ne pourra vaincre définitivement la bourgeoisie et engager la construction d'un nouveau système économique et social qu'à l'échelle internationale. Et, à bien plus forte raison, c'est seulement à l'échelle du monde que pourra s'établir une société définitivement débarrassée du marché, du profit, de la propriété privée, de l'exploitation et de l'oppression, des crises économiques et des guerres, une société capable de maîtriser sa propre activité pour assurer à chacun selon ses besoins.
Il fut un temps, il y a deux siècles, où la bourgeoisie, malgré sa cruauté et son âpreté au gain, a représenté objectivement le progrès. Elle a été capable de faire avancer l'humanité, les sciences, les techniques et la production de biens matériels. Elle a su, alors, briser les frontières et les barrières féodales qui morcelaient chaque pays, unifier les pays et faire surgir les nations modernes.
Aujourd'hui, le temps des nations est fini. Même dans le cadre du système capitaliste, l'économie se heurte aux barrières nationales, au morcellement qui fait que l'Europe, ce petit continent, cette presqu'île qui prolonge le continent asiatique, est morcelée en 46 États.
Même du point de vue de l'économie capitaliste, il n'y a que les grandes unités économiques des pays à l'échelle d'un continent comme les États-Unis qui ont aujourd'hui une place au soleil.
Mais la bourgeoisie est devenue une classe sénile, cramponnée à son passé, à ses États nationaux, et le capitalisme, un système obsolète, incapable de hisser les conditions de vie de la société humaine à la hauteur des immenses possibilités scientifiques et techniques d'aujourd'hui.
Les promoteurs du «oui» à la Constitution européenne présentent l'Union comme un instrument de paix. Mais il est significatif qu'une des premières expressions de cette Europe politique soit le projet, contenu dans la Constitution européenne, d'une armée européenne! Cela fera le bonheur des marchands d'armes. (...)
L'Union européenne, un instrument de paix?
Mais des troupes de pays européens sont présentes dans bien des guerres aux quatre coins du monde, de l'Irak à l'Afghanistan, sans parler des bases militaires françaises ou britanniques dispersées dans le monde.
Que demain, en Côte-d'Ivoire, par exemple, l'armée française soit relayée par une armée européenne ou, plus probablement, que l'armée française soit rebaptisée «armée européenne», cela ne changera rien à son rôle là-bas: à savoir, défendre les intérêts des grands groupes français dans ce pays.
Leur association dans le cadre de l'Union européenne ne change rien au caractère impérialiste des puissances qui dominent l'Europe. Pour ce qui concerne notre propre impérialisme, il continue à dominer dans son ancien empire colonial d'Afrique, à soutenir des dictatures infâmes, à les armer contre leurs propres peuples. Tout cela uniquement pour que les quelques groupes capitalistes, les Bouygues, Bolloré ou Total, et quelques centaines de margoulins de moindre envergure, continuent à faire des affaires juteuses dans des pays où la population crève de misère! Il n'est pas étonnant que, chaque fois que la colère éclate contre une dictature, au Togo en dernier lieu, cela prend nécessairement un caractère hostile à la France. Qui sème le vent finit par récolter la tempête! Alors, je ne peux que redire: nous n'avons aucune solidarité avec ceux qui exploitent l'Afrique, et les troupes françaises doivent être retirées de toutes les bases militaires sur ce continent.
Alors, avec une éventuelle armée européenne, l'Union européenne n'aura fait que permettre aux puissances impérialistes européennes d'entraîner plus facilement les petits pays de l'Europe dans leurs guerres de domination.
Mais ce référendum pour la Constitution n'est qu'un épiphénomène
Même pour les dirigeants politiques qui l'ont lancé, l'enjeu est limité. Chirac a clairement affirmé que, même si le «non» l'emporte, il n'est pas question qu'il démissionne. Le rejet de la Constitution ne l'obligera même pas à changer de politique, pas plus que ne l'y a obligé la déroute de la droite aux élections régionales et européennes de 2004.
À bien plus forte raison, l'offensive menée par le grand patronat, avec le soutien du gouvernement, contre le monde du travail se poursuivra jusqu'à ce que, par leurs luttes, les travailleurs y mettent un coup d'arrêt. (...)
Tout en contribuant, à la mesure de nos possibilités, à préparer les esprits aux futurs combats des travailleurs pour défendre leurs conditions d'existence, nous continuerons à défendre nos idées communistes.
Le Parti dit Communiste a abandonné depuis très longtemps la défense de ces idées pour s'intégrer dans la société capitaliste, dans son jeu politique, pour s'intégrer dans les rangs des serviteurs de la bourgeoisie, y compris au niveau le plus élevé, au gouvernement. À infiniment plus forte raison, le Parti dit Socialiste n'a plus rien à voir avec les idées qui ont présidé à sa création, pour devenir un des grands partis de la bourgeoisie. Mais ce n'est pas parce que les dirigeants et les appareils de ces partis ont rompu depuis longtemps avec elles que ces idées ne sont pas justes.
(...) Voilà pourquoi, tout en nous opposant clairement au gouvernement Chirac-Raffarin, un des plus réactionnaires que le pays ait connus depuis longtemps, nous ne nous faisons pas d'illusions sur la gauche officielle qui, si elle revient au pouvoir, mènera la politique que le grand patronat exigera qu'elle mène. Elle dit ne plus refaire la gauche plurielle, mais être «les gauches unies»: mais ce sont des mots, encore des mots!
Voilà pourquoi nous ne participerons pas à des manoeuvres politiques petites ou grandes qui contribueraient à tromper les travailleurs en les attachant au char des gens qui veulent les tromper. (...)
Si nous cherchons à gagner du crédit parmi ceux que nous considérons comme notre classe sociale, parmi les travailleurs, nous voulons les convaincre sur la base des idées communistes.»