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Leur société
Louis Schweitzer et ses semblables
Il y a beaucoup de fleurs et de louanges sur Schweitzer, dans la presse et les milieux des affaires, au moment où le patron de Renault prend une retraite toute relative, en se repliant sur le poste, pas du tout symbolique, de président du conseil d'administration du groupe. Ces louanges vont à l'action d'un dirigeant qui a fait de Renault un des groupes automobiles les plus profitables pour ses actionnaires, dans le monde.
Mais la carrière de Schweitzer est caractéristique des liens indissolubles qui lient le monde de la haute fonction publique à celui des affaires. Cela ramène au niveau des contes pour enfants les lubies réformistes de ceux qui prétendent que l'État peut être au-dessus des classes et de la haute bourgeoise.
Un homme de la bourgeoisie...
Schweitzer doit sa réussite à ses appuis à gauche. Haut fonctionnaire, fils d'un ancien directeur général du FMI, il prit son envol en tant que directeur de cabinet de Fabius, sous la présidence de Mitterrand, dans les ministères d'abord, puis à la même fonction quand Fabius devint Premier ministre de 1984 à 1986. Son passage lui valut bien quelques éclaboussures, encore sensibles aujourd'hui, dans les affaires du sang contaminé et des écoutes téléphoniques. Mais ses liens avec la gauche ne l'empêchèrent pas d'être recasé, à la direction de Renault, au moment du retour de la droite en 1986, puis propulsé au poste de patron du groupe, en 1992.
Sa morale dans cette histoire est résumée par sa déclaration: «On peut être patron et de gauche. Malheureusement il n'y a pas trente-six façons de diriger une entreprise». C'est lui qui a conduit à son terme la privatisation de Renault. Pour célébrer son action méritante de grand patron, l'assemblée générale du Medef, présidée par Seillière, l'a désigné pour occuper, à partir du 1er juin prochain, les fonctions de président du Medef international. Il occupe d'ailleurs, outre Renault, des postes au sein des conseils d'administration de AB Volvo, BNP Paribas, Électricité de France, Veolia Environnement; il est président du conseil d'administration d'AstraZeneca, et participe aussi aux conseils de Philips, Allianz, de la Banque de France et siège au conseil exécutif du Medef. Ce ne sont pas ses amitiés à gauche qui ont pu faire douter un instant le grand patronat qu'il était un de ses dignes enfants. Il n'a pas «trahi», il a fait le travail qu'on attendait de lui.
... et beaucoup d'autres...
La destinée de Schweitzer est la même que celle d'une multitude d'autres hommes de la bourgeoisie, qui alternent responsabilités dans l'entreprise et dans la haute fonction publique, indifféremment, tant ils savent qu'il s'agit de la même tâche.
Depuis Pompidou, formé à la banque Rothschild avant de prendre la tête du gouvernement et de l'État, en passant par Chirac, protégé et lancé par Dassault, les carrières des grand commis de l'État et des dirigeants des grandes entreprises s'interpénètrent continuellement.
Martine Aubry, l'ex-ministre du Travail de Jospin, a fait ses classes en tant que second du PDG de Péchiney, avant d'aller rejoindre les cabinets ministériels. Francis Mer, qui fut dernièrement ministre de l'Industrie de Raffarin, a commencé sa carrière dans l'industrie. Il a dû son ascension à la tête d'Arcelor à l'appui de la gauche qui l'installa en 1982 à la tête d'Usinor, alors nationalisé. Ce qui lui permit de conduire ensuite, quelques dizaines de milliers de licenciements plus tard, la privatisation du groupe grâce aux fonds de l'État.
Michel Bon passa de la direction de Carrefour au poste de directeur général de l'ANPE, avant d'être propulsé au poste de président de France Télécom, pour se retrouver aujourd'hui à l'Institut de l'Entreprise, qui regroupe, pour coordonner leur politique, les plus grandes entreprises du pays. Son successeur temporaire Thierry Breton a, lui, fait le chemin inverse. Il partit du cabinet du ministre de l'Éducation nationale, de 1986 à 1988, pour aller ensuite occuper différentes fonctions, à la CGI, Bull et Thomson, puis se retrouva à la tête de France Télécom, avant de devenir ministre de l'Économie.
... à la tête d'un État dressé pour servir ses seuls maîtres
Les allers-retours du personnel de direction entre l'État et les entreprises sont continuels, comme dans le cas de Jérôme Monod, protégé de Chirac à la mairie de Paris, parti diriger plus tard la Lyonnaise des Eaux, et revenu pour sa retraite à la disposition de Chirac. Le plus drôle, pour l'anecdote, est le parcours de cet éternel ami de Chirac, son agent permanent à l'UDF, Yves Galland, qui exerça tour à tour les postes de ministre de l'Industrie puis du Commerce extérieur, en 1995, et qui se retrouve aujourd'hui... à la tête de Boeing France. Le PDG de Boeing avoue sans ambages qu'il a «choisi Yves pour toutes ses relations politiques», afin de promouvoir la vente de Boeing.
Pas plus la haute fonction publique que les dirigeants d'entreprises ne sont soumis à l'aléa des élections. Quoi qu'il arrive, ils ont été sélectionnés et formés pour servir, aux différents postes, les intérêts de la grande bourgeoise. C'est une évidence. Ce qui veut dire que cet État-là, quelle que soit l'étiquette des partis qui le gouvernent, ne pourra jamais servir d'autres intérêts et surtout pas ceux de la population travailleuse.