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Dans le monde
Brésil : Une réforme syndicale pour renforcer le pouvoir des bureaucrates
L'ancien syndicaliste Lula, élu président du Brésil, prépare une réforme syndicale réactionnaire, qui vise avant tout à donner aux centrales syndicales le contrôle des syndicats de base et le monopole de la négociation, et à faire de la recherche de la négociation, plutôt que de l'action revendicative, l'objectif de l'activité syndicale.
La situation actuelle
Actuellement, seuls les syndicats de base existent vraiment. Il en existe un seul par branche économique (métallurgie, chimie-pétrochimie, banque, transports routiers, enseignement, etc.), au niveau d'une ville ou d'une région, qui concerne quelques dizaines ou centaines de milliers de salariés, petites et grandes entreprises confondues.
La direction est élue parmi les différentes listes en concurrence. Les membres (autour de 12 à 20) de la liste victorieuse deviennent «directeurs» du syndicat. Le financement provient à la fois de l'impôt syndical perçu et redistribué par l'État, payé par tous les salariés de la branche, et de la cotisation payée par les seuls affiliés au syndicat. Il assure le fonctionnement du syndicat et aussi de nombreuses oeuvres sociales dont il a la charge: dispensaires, centres de formation, etc.
Ces syndicats puissants, riches et relativement autonomes, choisissent ou pas de se rattacher à l'une des centrales existantes. Ces courants nationaux existent de fait, mais n'ont pas d'existence réglementée par la loi ni de financement régulier.
Un produit de l'histoire
Cette situation résulte de la législation mise en place dans les années trente par le gouvernement autoritaire de Getulio Vargas, inspirée de l'Italie mussolinienne. Par la suite, la dictature militaire (1964-1984) plaça les syndicats sous la coupe du ministère du Travail, qui les surveillait étroitement et leur laissait pour seule liberté le soin de gérer les oeuvres sociales. Il pouvait à tout moment destituer les directions syndicales et nommer de nouveaux directeurs, et il ne s'en privait pas en cas de grève.
À la fin des années 1970, apparurent des syndicalistes dits «authentiques», appuyés par l'Eglise catholique et le courant social-démocrate et qui se rangeaient dans l'opposition au régime. Gagnant la direction de syndicats de plus en plus nombreux, ils se voulaient indépendants de l'État et se faisaient les porte-parole des revendications ouvrières. Ces syndicalistes, dont le plus connu est l'actuel président Lula, constituèrent la base militante du Parti des Travailleurs (PT). Ils se regroupèrent en 1983 dans la Centrale Unique des Travailleurs (CUT).
Les gouvernements, dès les dernières années du régime militaire, renoncèrent à intervenir dans les syndicats. D'autres centrales se constituèrent. Parmi elles, la seule qui compte aujourd'hui à l'échelle nationale est la Force Syndicale, liée aux partis de droite.
La bourgeoisie brésilienne voulait depuis longtemps réglementer l'existence et l'activité des syndicats, trop sensibles aux pressions de leur base, en les faisant contrôler par les directions des centrales syndicales. Le président précédent, Cardoso, en avait parlé mais, là encore, c'est l'arrivée au pouvoir de Lula et du PT qui a permis de passer aux actes. En effet ils bénéficiaient au départ d'un préjugé favorable de la part des travailleurs.
Le projet de réforme
La réforme vise à donner tout le pouvoir aux directions des centrales syndicales. Elles auraient seules une existence légale, délégueraient la représentativité et une partie de leurs pouvoirs aux syndicats de base et elles auraient le pouvoir de les destituer en cas de désaccord. Le financement syndical serait réorganisé, l'impôt syndical augmenté (passant d'un à trois jours de salaire), et une part importante irait directement aux centrales. C'est elles qui négocieraient les accords avec les patrons, et les syndicats locaux ne pourraient pas s'y opposer, mais seulement les aménager lors de négociations locales.
L'organisation syndicale serait désormais pyramidale, avec des organisations au niveau fédéral, au niveau de chacun des vingt-deux États brésiliens et au niveau de la ville ou de la région, avec par branche d'activité des confédérations, des fédérations et des syndicats de base. Les centrales devront, pour obtenir leur reconnaissance par l'État, être représentées dans un certain nombre d'États, de branches, affilier un certain pourcentage de travailleurs.
Mais une fois cette reconnaissance acquise, ils pourraient créer des syndicats où bon leur semble. Cela implique que, là où actuellement il n'y a qu'un syndicat, il puisse y en avoir plusieurs se réclamant de différentes centrales. Il y aurait aussi dans chaque entreprise une représentation des salariés, pour négocier des accords locaux. Sous couvert de mieux représenter les travailleurs de l'entreprise, cela reviendrait à émietter les salariés d'une même catégorie, au détriment de ceux des petites entreprises.
Quant à l'application de ces mesures et aux litiges auxquels elle donnera lieu, ils seront du ressort d'un Conseil national des relations du travail, auquel le ministre du Travail nommera des patrons, des syndicalistes et des représentants de l'État.
D'autres mesures antiouvrières en préparation
La réforme pourrait aussi contenir de nouvelles règles pour la négociation et pour les conflits. Les grèves devraient être précédées d'un préavis écrit déposé 72 heures auparavant. D'autres dispositions viendraient encore limiter et entraver le droit de grève.
Mais il est possible que ces dispositions soient renvoyées à une prochaine réforme, celle du droit du travail. Celle-ci est elle aussi en préparation depuis un certain temps, avec pour objectif d'en finir avec certaines conquêtes ouvrières, comme le treizième mois, le congé de maternité ou les congés payés, et d'imposer aux salariés plus de flexibilité.
Pas étonnant que les dirigeants des centrales CUT et Force Syndicale se prononcent pour cette réforme, qui leur donnerait beaucoup d'argent, un rôle dans les négociations accru et un contrôle presque total sur les syndicats de base. Pas étonnant non plus qu'un grand nombre de travailleurs et de militants refusent cette réforme qui vise à les mettre au pas et à les soumettre à la toute-puissance des bureaucraties syndicales et de l'État, pour le plus grand bénéfice du patronat.