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Editorial
Un "non" qui se renforce
Les partisans du "oui" n'en finissent pas de répéter sur un ton dramatique que la France ne peut pas se permettre d'être le seul pays à dire "non" à la Constitution européenne. Mais le "non" pourrait bien l'emporter aussi ailleurs, si l'on en juge par les résultats du sondage publié en Hollande le 23 avril, qui donnait, pour la première fois, le "non" vainqueur, avec 52% des voix.
Évidemment, le nombre de référendums où le "non" pourrait l'emporter est limité, puisque dans cette Europe dont on nous affirme qu'elle est en marche vers son unité politique, il y a, pour ratifier le projet de Constitution, pratiquement autant de procédures que de pays différents. Seuls neuf d'entre eux ont choisi de recourir à un référendum. Et quatre, parmi ceux-là, sont si peu sûrs du verdict des urnes qu'ils n'ont donné qu'un rôle consultatif à ce référendum, le Parlement devant trancher en dernier lieu.
C'était précisément le cas de la Hollande, à ceci près que le gouvernement de ce pays, où le "oui" était jusque-là majoritaire dans les sondages, s'est ensuite engagé par avance à respecter le résultat du référendum. Chirac ne doit plus être le seul à maudire son imprudence!
La situation, en Hollande, est la même qu'ici. Les possédants sont favorables à cette Constitution, qui est faite pour eux, pour permettre le fonctionnement à vingt-cinq de ce marché commun nécessaire à la bonne marche de leurs affaires et qui ne comptait que six membres à sa naissance. La grande majorité des hommes politiques, qu'ils soient de droite ou qu'ils se disent de gauche, dont le métier est de défendre les intérêts de la bourgeoisie, sont aussi favorables à ce projet de Constitution, tout comme la grande majorité des journalistes politiques ou économiques. Mais les classes populaires ont toutes les raisons d'être méfiantes devant un texte qui, en fait de "social", ne contient que des phrases creuses.
Les travailleurs ne peuvent évidemment qu'être favorables à la disparition des frontières qui séparent les peuples et qui maintes fois dans le passé les ont opposés par la guerre. Mais ce n'est pas sur cela qu'on nous demande de voter le 29 mai. Il s'agit d'approuver un texte qui non seulement présente le système capitaliste comme le meilleur, voire le seul possible, mais qui ne cherche absolument pas, bien au contraire, à tirer vers le haut les pays où les conditions d'existence des travailleurs sont les moins bonnes, ou les pays où les libertés démocratiques sont les plus réduites.
L'instauration d'un salaire minimum européen, qui permettrait à tous les travailleurs de vivre décemment, et qui éviterait la concurrence entre salariés? Il n'en est pas question. Les patrons sont trop contents de cette situation où ils peuvent trouver de la main-d'oeuvre à bas prix. La réglementation du droit de grève? Laissée au bon vouloir des États membres, qui ont ainsi la liberté d'y introduire toutes les limitations possibles. Le droit au divorce, à l'IVG pour les femmes? Aux États membres d'agir comme bon leur semble, et de faire, si cela leur chante, des interdits de l'Église catholique des lois s'appliquant à tous les citoyens.
Si la majorité des électeurs français répond "non" à la Constitution européenne, ils ne seront donc pas forcément les seuls. Mais même si cela était, où serait le problème? Chirac et Raffarin d'un côté, Hollande de l'autre, ont voulu ce référendum. Ils nous posent une question, mais maintenant qu'ils sont inquiets quant à la réponse qu'ils vont recevoir, ils nous affirment qu'un "non" serait une catastrophe.
Eh bien, nous n'avons aucune raison de céder à ce chantage. À ce texte rédigé dans le seul intérêt du grand patronat on ne peut que répondre "non", tout en sachant que ce "non" à la Constitution ne nous évitera pas d'avoir à répondre tous ensemble "non" aux tentatives des classes dirigeantes de revenir sur tous les acquis de la classe ouvrière.