Allemagne : Salaire minimum et démagogie électorale22/04/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/04/une1916.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Allemagne : Salaire minimum et démagogie électorale

Depuis la révélation publique de l'existence d'un site Internet pratiquant le dumping salarial (les propositions d'emploi y sont mises aux enchères: pour y prétendre, les chômeurs doivent faire des offres de salaire de plus en plus basses!), le gouvernement allemand a fait mine de lancer la chasse aux «moutons noirs», désignant sous ce terme les patrons qui contournent les règles sociales en vigueur.

Au cours de la deuxième semaine d'avril, les services de douane ont ainsi organisé une opération de contrôle de 350 abattoirs, où de nombreux travailleurs polonais sont employés pour des salaires de misère: environ 3 euros de l'heure, en dessous des conventions collectives régionales du secteur. Car non seulement il n'existe pas, en Allemagne, de salaire minimum uniforme à l'échelle du pays, mais les conventions collectives ne s'appliquent que dans les entreprises membres des unions patronales signataires de ces conventions. Ce qui fait que, selon la centrale syndicale DGB, seuls 70% des salariés de l'Ouest et 55% de ceux de l'Est sont couverts par une telle convention.

C'est dans ce contexte que le chancelier social-démocrate Gerhard Schröder envisage de proposer, en mai prochain, une loi qui imposerait aux entreprises de respecter le salaire minimum en vigueur dans leur branche. Mais cette soudaine préoccupation «sociale» comporte une bonne dose d'hypocrisie. Car elle émane d'un gouvernement, prétendu de «gauche», qui a organisé une des pires régressions de la condition ouvrière depuis la guerre. Ce chancelier, arrivé au pouvoir en 1998 avec la promesse de réduire le chômage de moitié, non seulement a laissé les patrons licencier à grande échelle et s'est attaqué aux droits des chômeurs et des assurés sociaux, mais il a aussi donné l'exemple des bas salaires. En élargissant d'abord les «minijobs» pour lesquels les cotisations patronales sont réduites: 6,9 millions de salariés travaillent aujourd'hui pour 400 euros par mois. Il a aussi mis en place, depuis le début 2005, les «jobs à un euro» pour des travaux d'utilité publique, qui peuvent être imposés aux chômeurs sous peine de réduction de leurs allocations. Le résultat de cette politique est que la misère touche aujourd'hui, selon l'institut Eurostat, 15% de la population allemande, soit un niveau encore supérieur à celui de la France!

En réalité, la préoccupation du gouvernement est essentiellement d'apparaître préoccupé du sort du monde du travail... jusqu'au 22 mai, date des élections régionales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Avec 18 millions d'habitants, ce land (qui englobe la région industrielle de la Ruhr) est le plus peuplé du pays et est aussi, depuis des décennies, un fief du Parti Social-Démocrate. Or tous les sondages pronostiquent, à l'heure actuelle, une défaite de celui-ci, tant le désarroi est grand dans la classe ouvrière.

Rien ne garantit donc que le gouvernement ira au bout de ses proclamations concernant l'instauration d'un ersatz de salaire minimum. Mais si c'est le cas, on pourra seulement dire qu'il ne s'agit pas d'une attaque de plus à mettre à son actif. Quant à l'efficacité de la mesure, elle risque d'être réduite, en raison des dérogations qui permettront aux patrons de continuer (presque) comme avant. Déjà, face aux chantages patronaux à la délocalisation, et pour «sauver l'emploi», les syndicats signent depuis deux ans, dans bien des entreprises, des accords qui sont en retrait sur les conventions collectives. Pour se défendre vraiment, et rattraper les pertes importantes de salaire de ces dernières années, les travailleurs d'Allemagne ne peuvent compter que sur eux-mêmes.

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