Ne pas lâcher la proie pour l'ombre !17/03/20052005Journal/medias/journalnumero/images/2005/03/une1911.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Tribune de la minorité

Ne pas lâcher la proie pour l'ombre !

Les déclarations de Raffarin et la promesse d'ouvertures de négociations constitueraient, paraît-il, une première victoire pour les travailleurs après la journée du 10 mars.

Victoire pour qui? Pour les fonctionnaires à qui on fait miroiter une minable augmentation supplémentaire de 1% en échange de ce que le gouvernement appelle la "modernisation de la Fonction publique": suppressions de postes, plus grande flexibilité, accroissement de la charge de travail?

Victoire pour les travailleurs des entreprises privées à qui Raffarin a concédé qu'ils devraient avoir leur part des énormes bénéfices réalisés en 2004? Ce qui fait déjà ricaner tant Ernest-Antoine Seillière, patron du Medef, que François Roubaud, le président de la Confédération générale des PME, qui a conseillé crûment à Raffarin de se mêler de ce qui le regarde: "L'État n'a pas à s'immiscer dans la gestion de nos petites et moyennes entreprises".

Où est la victoire? Seuls les dirigeants des confédérations syndicales peuvent être reconnaissants envers Raffarin de leur ouvrir la porte de sortie d'une épreuve de force... avant même qu'ils l'aient réellement engagée: "Un geste significatif nous sortirait de cette situation conflictuelle", déclarait, surprenant de franchise, Jean-Marc Canon pour la CGT de la Fonction publique...

Le partage des rôles...

Se partageant le travail avec les confédérations syndicales pour étouffer dans l'oeuf l'éventuel mouvement d'ensemble qui s'est esquissé dans la rue le 10 mars, les partis de gauche choisissent eux de battre le rappel à voter lors du prochain référendum.

Cela, qu'ils aient choisi le Oui comme la majorité du PS, une nouvelle fois alignée sur Chirac et qui pour faire avaler cette position se veut pleine de sollicitude pour les travailleurs. Et François Hollande de demander "des gestes concrets très vite sur le pouvoir d'achat". Et Dominique Strauss-Kahn d'en appeler à un "Grenelle des salaires". Mais que faisaient-ils donc pour les salaires quand eux ou leur parti était au gouvernement?

Ou qu'ils aient choisi le Non comme le PCF ou la minorité du PS, derrière Laurent Fabius ou Henri Emmanuelli, qui se réjouiraient, nous dit-on, de la montée du mécontentement. Pas au point tout de même d'appeler à l'exprimer de plus en plus fort dans la rue ou dans la grève. Plus simple et moins risqué pour leur avenir politique de mettre l'accent sur le vote Non.

Du coup, une bonne partie de l'extrême gauche insiste aussi pour rapprocher la rue des urnes: "En 2005, c'est dans la rue, à nouveau, que monte l'exigence d'une rupture avec cette politique de casseurs sociaux. Comme monte en même temps la volonté de dire NON à cette Europe libérale", a déclaré Olivier Besancenot au lendemain du 10 mars...

Pourtant qu'y a-t-il d'autre derrière le lien supposé entre les luttes sociales et la péripétie du référendum, sinon l'éternel discours électoral servi aux travailleurs: la victoire du Non préparera un changement de majorité et de gouvernement et alors tous les espoirs nous seront permis... Espérer, attendre, surtout attendre...

Bien sûr, ce gouvernement ne souhaite pas la victoire du Non au référendum. Mais Raffarin a déjà été "défait dans les urnes". Et il n'y a pas si longtemps: lors des élections régionales de 2004. Cela ne l'a pas empêché de persévérer dans la même politique anti-ouvrière. Et cela n'a pas empêché la gauche, dont le PCF comme la minorité du PS, Fabius, Emmanuelli comme Buffet, de nous inviter alors à préparer... les élections de 2007. Belle perspective en vérité qu'ouvrirait une victoire du Non: la même... qu'une victoire du Oui!

... et le nôtre

Personne ne sait si le succès du 10 mars est l'annonce des mobilisations nécessaires, ni si cette journée a redonné confiance à suffisamment de militants et de travailleurs qui ne croyaient guère jusque là en une possible riposte.

Le contexte n'est pourtant pas si défavorable. Le patronat a engrangé des bénéfices fabuleux. Il n'en lâchera rien s'il n'y est pas contraint, mais il a les moyens de lâcher bien plus que des miettes. Le gouvernement aussi, qui voudrait faire honte aux fonctionnaires en expliquant que 1% d'augmentation, cela coûte 800 millions d'euros au budget de l'État... alors qu'il y a quelques mois, le même a accordé, aux seuls patrons de l'hôtellerie, 1,5 milliard d'euros en exonérations de charges sociales!

Les militants révolutionnaires n'ont pas aujourd'hui les moyens de faire au niveau national ce que les directions des confédérations syndicales ou des partis politiques de gauche ne veulent pas faire. Mais ils peuvent jouer un rôle déterminant dans certains conflits locaux, qui ont tendance à se multiplier, y compris sur les salaires, et ainsi permettre aux travailleurs de s'organiser et d'obtenir des succès limités, mais de ces succès qui contribuent aussi à redonner confiance, élargir les perspectives et montrer les convergences.

À condition de ne pas se tromper d'objectif et de ne pas joindre notre voix au grand concert de ceux qui veulent entraîner les travailleurs dans l'impasse soit des négociations avant d'avoir créé le rapport de force favorable soit des "débouchés politiques" électoraux qui n'ont jamais ouvert que sur les déceptions.

Jean-Jacques FRANQUIER

Convergences Révolutionnaires n° 38 (mars-avril 2005)
Bimestriel publié par la Fraction
Dossier: Amérique du Sud: Une nouvelle gauche... contre les travailleurs. Articles: Les lycéens contre la loi Fillon: quand
la jeunesse s'invite dans la lutte de classe- La SNCF, dévoreuse d'emplois - Journaux: sous presse ou sous pression ? -La Côte d'Ivoire: la population entre trois feux - Le projet de manifeste de la LCR: une déclaration d'amour aux altermondialistes.
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