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Tribune de la minorité
60 ans après : Le combat contre la barbarie est encore devant nous
Comment rendre compte "de la souffrance de ces gens que d'autres hommes ont transformés en une poignée de cendres tenant dans la paume d'une main", demande un de ceux qui font visiter Auschwitz? Soixante ans après la fin de ce camp d'extermination nazi, documentaires et témoignages tentaient cette semaine de rappeler son hallucinante réalité. Un million cent mille personnes sont mortes à Auschwitz-Birkenau. Dans leur énorme majorité, 960000, ils étaient juifs. Les autres étaient tsiganes, homosexuels, ou prisonniers politiques. Plus de 5millions de personnes au total furent exterminées lors de la "solution finale", dont un million et demi d'enfants. Des 76000 Juifs déportés de France, 2251 revinrent. Tous les chiffres, comme les images ou les récits les plus durs, ne peuvent bien sûr donner qu'une faible idée de l'horreur des camps. Mais les témoignages des derniers jours ont le mérite de rappeler cette vérité pas si ancienne de notre "civilisation".
La vérité, elle ressort pourtant moins indemne des discours des politiques. Car les commémorations officielles sont aussi l'occasion de l'auto-célébration mensongère des États vainqueurs de la Seconde guerre mondiale, présentés en libérateurs. Les armées russes à Auschwitz, comme les troupes anglaises ou américaines ailleurs, ont bien sûr mis fin aux camps de la mort. Mais en réalité c'était "en passant", parce qu'ils se trouvaient sur leur route, et sûrement pas parce que les états-majors auraient fait de leur libération un objectif prioritaire. Les troupes Alliées connaissaient pourtant parfaitement l'existence des camps, et ce qui s'y passait, dans les détails. Les messages militaires nazis étaient décryptés à Londres bien avant 1941 et le début de la "solution finale". Mais il faut croire que le génocide ne pesait pas lourd dans les préoccupations des "démocrates".
Malgré les phrases démocratiques, les adversaires d'Hitler se battaient avant tout pour le rétablissement de leur ordre. Tout le cours de la guerre a montré leur mépris des populations. Ainsi lorsque Dresde fut écrasée sous 650000 bombes britanniques: la ville était l'une des plus peuplées d'Allemagne, pleine de réfugiés comme de prisonniers de guerre; elle ne représentait aucun intérêt stratégique; mais il s'agissait de montrer ses muscles aux soviétiques, de faire un exemple et de terroriser les populations -notamment ouvrières. Il y eut sans doute plus de 100000 morts. Quant à Hiroshima et Nagasaki, le Japon était déjà militairement battu quand les bombes atomiques US y tuèrent 200000 personnes.
Hors des frontières européennes, le nouvel ordre impérialiste mondial ne tarda pas à montrer qu'il n'allait rien avoir à envier à l'ancien. Le 8 mai 1945, jour même de la fin de la guerre, le gouvernement De Gaulle massacrait des dizaines de milliers d'Algériens à Sétif pour leur faire passer le goût de l'indépendance. L'impérialisme français tout juste réinstallé dans ses meubles allait continuer sur cette lancée en matant l'insurrection malgache de 1947 (70000 morts). Avant que vienne le tour de l'Indochine, de l'Algérie à nouveau...
On pourrait décliner longtemps la liste des crimes contre l'humanité commis par les démocraties impérialistes. Elle mène droit aux oeuvres des 36 représentants d'États qui assistaient justement aux commémorations de la fin d'Auschwitz, le 27 janvier dernier. Une si belle brochette de libérateurs! Le russe Poutine, dont l'armée a massacré 10% de la population en Tchétchénie et rasé la capitale Grozny. L'américain Dick Cheney, qui mène aujourd'hui sa sale guerre d'occupation au Moyen-Orient sans rechigner à employer la torture. Le français Chirac, chef d'un État complice du génocide rwandais au cours duquel 800000 personnes ont été exterminées il n'y a pas plus de 10 ans. Sans compter les oeuvres communes, comme l'embargo qui a tué un million d'Irakiens entre 1991 et 2003...
Les images des camps nazis appellent bien autre chose qu'un seul apitoiement moral. Surtout s'il doit être politiquement récupéré par ceux qui sont responsables de la barbarie du monde d'aujourd'hui. À la violence que les convulsions de l'ordre impérialiste imposent à l'humanité, on ne peut opposer qu'une chose: la révolte contre cet ordre et la préparation de son renversement.
Benoît MARCHAND
Convergences Révolutionnaires n° 37 (janvier-février 2005)
Bimestriel publié par la Fraction
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