- Accueil
- Lutte ouvrière n°1902
- L’amiante à la faculté de Jussieu : Lenteurs criminelles
Leur société
L’amiante à la faculté de Jussieu : Lenteurs criminelles
Huit ans après les premières plaintes en justice et trente ans après la découverte du problème, le long combat contre la présence d'amiante dans les locaux des universités situées à Jussieu dans le 5ème arrondissement de Paris franchit une nouvelle étape juridique. Les présidents des universités Paris VI, Paris VII et de l'Institut de Physique du Globe devaient être convoqués mercredi 12 janvier. Ils devraient se voir signifier leur mise en examen en tant que personnes morales pour «mise en danger de la vie d'autrui». D'après le journal Le Figaro, d'autres personnes, responsables politiques ou hauts fonctionnaires, devraient être convoquées par la suite.
Le danger connu depuis 30 ans
On connaît depuis le début du 20ème siècle les risques liés à l'utilisation de l'amiante. Et depuis les années 1960, on sait que l'inhalation d'amiante entraîne à la longue des cancers comme les mésothéliomes, pour l'instant très difficilement curables, ou des tumeurs des bronches, ou encore une autre maladie des poumons, l'asbestose, qui aboutit à une insuffisance respiratoire grave et irréversible, entraînant une insuffisance cardiaque. La maladie peut se déclarer des années, vingt ans, trente ans ou plus, après l'exposition.
Le problème de l'amiante à Jussieu, soit 220000 m² entièrement couverts de ce matériau cancérigène, est connu depuis trente ans. Des rapports officiels indiquaient déjà en 1975 que la situation était inacceptable. Vingt ans plus tard, la loi interdisant l'utilisation de l'amiante était enfin votée (1er janvier 1997), mais les bâtiments, eux, restaient en l'état. Toute l'ossature métallique de Jussieu était floquée à l'amiante, toutes les variétés étaient présentes dans ces flocages. On trouvait (et on trouve encore) ce poison dans les faux-plafonds dissimulant les poutrelles floquées, dans les armoires électriques bordant les couloirs, sous les planchers, exposant les enseignants, les étudiants et surtout les employés chargés du nettoyage ou de la maintenance. Des mesures prises alors indiquaient la présence de plus de 100 fibres par litre d'air lors de déménagements, de plus de 1000 fibres par litre d'air lors de brossages de murs, et de plus de 10000 fibres par litre d'air lors d'interventions dans les gaines techniques, alors que le seuil toléré par la loi est actuellement de 5 fibres par litre d'air.
Un long combat
Après la mobilisation du Collectif amiante dans les années 1970, le combat reprit dans les années 1990. En 1996, deux employés du campus de Jussieu qui souffraient de plaques pleurales, une diminution de leur capacité respiratoire due à la présence de fibres d'amiante dans leurs poumons, portaient plainte avec le comité anti-amiante pour «blessures involontaires et omission de porter secours». Un an plus tard, 80 victimes déposaient plainte contre X pour «mise en danger de la vie d'autrui». 110 personnes victimes de l'amiante ont été reconnues en maladie professionnelle, dont dix décédées depuis d'un cancer. La reconnaissance de la maladie professionnelle permet de bénéficier d'une indemnisation, toutefois souvent longue à venir.
Mais dans le cas de Jussieu, comme dans le cas d'entreprises comme Sollac ou Saint-Gobain, les victimes ne veulent pas seulement être indemnisées, elles veulent aussi, et à juste titre, que les responsables soient condamnés par la justice. Et de ce point de vue-là, elles ne sont pas au bout de leur peine.
Le comité anti-amiante de Jussieu veut obtenir le désamiantage de cette «mine» d'amiante où travaillent et étudient près de 50000 personnes. Il réclame la transformation de ces bâtiments pour qu'ils disposent d'une protection suffisante, en matière d'incendie par exemple. Selon une expertise faite en 2001, dans ce cas, le bâtiment s'effondrerait en quelques dizaines de minutes, alors que les règles exigent une résistance d'une heure trente à l'incendie pour permettre l'évacuation du public.
Mais qu'il s'agisse du désamiantage ou de l'amélioration des conditions de sécurité en général, tous les responsables politiques qui se sont succédé durant les dix dernières années se sont illustrés par leur inertie. En juillet 1996, Chirac promettait qu'à la rentrée suivante plus personne ne serait exposé, et en décembre de la même année, le ministre de l'Éducation nationale, François Bayrou, signait avec les présidents d'université de Jussieu un contrat de désamiantage et de mise en sécurité du campus qui prévoyait de réaliser les travaux en trois ans. Quatre ans plus tard, une seule barre de bâtiment avait été traitée, soit 2,5% de la surface concernée. Le désamiantage d'une telle surface est certes une opération délicate, mais elle ne constitue pas un problème technique insurmontable. Pourtant, aujourd'hui, seuls 25% des bâtiments ont été désamiantés, 25% sont en travaux et le reste reste en l'état.
Seule l'extrême lenteur avec laquelle justice et gouvernements agissent lorsque les intérêts de la population sont en jeu peut expliquer cette situation. Et pendant que procès, travaux et indemnisation traînent en longueur, l'amiante continue à faire des victimes: il pourrait y avoir près de 100000 décès provoqués par l'amiante dans les vingt prochaines années en France.