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Irak : Pendant les affrontements, la campagne électorale continue...
Mardi 4 janvier, le gouverneur de Bagdad, AliAl-Haïdri, qui avait déjà échappé à un attentat en septembre dernier, a été tué dans sa voiture alors qu'il circulait en ville. C'est la personnalité la plus importante abattue par les groupes armés qui s'opposent à la présence américaine en Irak et aux autorités gouvernementales imposées par celle-ci depuis la chute du précédent régime. En même temps, un camion-citerne explosait à l'entrée de ce qu'on appelle la "zone verte", qui abrite le bâtiment du gouvernement provisoire ainsi que les ambassades américaine et britannique. Cet attentat a fait 11 morts. La veille, 17policiers et gardes nationaux avaient trouvé la mort dans toute la région sunnite.
Ainsi, depuis plusieurs semaines que les attentats et les affrontements armés se multiplient avec à chaque fois un bilan humain très lourd.
Des régions entières échappent au contrôle non seulement des actuelles autorités gouvernementales irakiennes mais même de l'armée américaine. À Kirkouk, dans le nord de l'Irak, à Baiji au nord de Bagdad, les oléoducs sont en flammes. À Hit, dans l'Ouest irakien, l'aviation américaine multipliait, ces jours-ci, les raids sur une ville majoritairement sunnite. Les villes chiites de Kerbala ou de Nadjaf continuent d'être l'objet d'attentats-suicides.
Si la "guerre d'Irak" est officiellement terminée depuis le 1ermai 2003, les affrontements sanglants n'ont pas cessé. Plus que jamais, la guerre continue, plus d'un an et demi après l'intervention américaine qui était censée y amener la "démocratie". L'acharnement et la brutalité de l'armée américaine, qui a mené plusieurs opérations sanglantes dans des villes où la population lui était hostile, n'a en rien brisé la résistance des différents groupes armés. Au contraire, la proximité de l'échéance électorale du 30 janvier semble plutôt engendrer de leur côté un regain d'activités.
Lors de sa dernière conférence de presse, le président américain Bush a bien dû admettre que ses troupes n'arrivaient pas à venir à bout de la résistance armée. Il n'en a pas moins réaffirmé imperturbablement que l'objectif du "rétablissement de la démocratie" dans le pays serait atteint, notamment grâce aux élections du 30 janvier. Et Bush redemande une rallonge de 80 milliards de dollars pour mener ses opérations en Irak, soit plus de deux cents fois plus que les 350millions promis pour venir en aide au Sud-Est asiatique...
Le général Carey qui commande les 150000 soldats américains sur place ne dit pas autre chose: "Ce sera dur, ils vont nous combattre à chaque étape, a-t-il déclaré. Mais je crois fermement que les élections crédibles pourront se tenir". Sans oublier Koffi Annan qui au nom des Nations unies appelle les Irakiens "à ne pas être dissuadés de voter par les attaques et à se rassembler dans un esprit de réconciliation".
En effet, alors que chaque jour amène son lot d'affrontements sanglants, l'Irak est officiellement entré en campagne électorale, le jeudi 16 décembre. 7 200 candidats, représentant 73partis et répartis sur 107 listes, nous dit-on, entendent se partager les 275 sièges de la future Assemblée nationale. En même temps, 16 partis seraient en compétition pour les 111 sièges du Parlement autonome du Kurdistan. Enfin, 382 listes rivaliseront pour les 18 conseils de province.
Cette avalanche de chiffres de participants aux élections masque cependant le fait que dix-sept partis et associations ont demandé un report, estimant que le regain de violence aura pour conséquence de laisser "une frange importante de la population en dehors du processus politique". Dans la région sunnite, de nombreux appels à boycotter les élections sont lancés, notamment de la part de l'influent Comité des oulémas. Même du côté des partis chiites, les plus favorables à l'élection dans la mesure où ils pensent pouvoir en être les principaux bénéficiaires, des groupes comme celui de Moqtada Al-Sadr refusent d'y participer.
Et puis quel sens peuvent avoir ces élections alors que l'ensemble du pays se trouve sous contrôle de groupes armés, dont l'armée américaine qui a montré qu'elle n'est pas regardante sur les moyens pour reprendre le contrôle d'une ville ou d'un territoire? Comment croire un instant que les candidats pourront librement exposer leur programme, que les électeurs pourront se prononcer en connaissance de cause et sans être soumis à des pressions, que les urnes ne seront pas tout simplement bourrées?
Parmi les dirigeants irakiens eux-mêmes, les déclarations se multiplient, dans ces conditions, pour demander un report des élections. Mais pour l'instant, les dirigeants américains continuent d'affirmer que celles-ci auront lieu. Pour eux, l'important est de pouvoir claironner que la "démocratie" a été rétablie en Irak, comme elle vient de l'être en Afghanistan, où les élections présidentielles ont confirmé au pouvoir le président Karzaï, docile envers Washington. Les élections du 30 janvier en Irak, si elles ont lieu, fourniront de même le prétexte permettant à Washington d'affirmer la "légitimité" du gouvernement irakien. Et l'on peut prévoir que les grandes puissances européennes ne manqueront pas d'emboîter le pas aux États-Unis, ainsi qu'un grand nombre d'autres États.
Ce mince paravent "démocratique" établi, les États-Unis entendent bien conserver le contrôle de cette région et de ses richesses.