- Accueil
- Lutte ouvrière n°1899
- Le viaduc de Millau : Un pont d’or pour les affairistes
Leur société
Le viaduc de Millau : Un pont d’or pour les affairistes
Au coeur du Larzac, Millau est désormais célèbre -autrement que pour ses bouchons routiers de l'été- par son superbe viaduc, vitrine de la technologie de pointe. Mais si c'est un soulagement pour les automobilistes, des affairistes de toute sorte en attendent des bénéfices aussi juteux que durables.
Tout a été dit sur les prouesses techniques: 2,46 km de long, en acier et en béton, avec une pile de 342 mètres au-dessus du Tarn. Jusqu'aux services météorologiques qui ont été capables de déceler les dix sortes de vents qui balaient la vallée et de les mesurer pour en déduire l'emplacement très précis des grues du gigantesque chantier afin qu'elles résistent aux vents tourbillonnants.
3500 ouvriers y ont travaillé jour et nuit pendant deux ans, par roulement. Chaque jour, il y en avait 500 sur le chantier. Chose exceptionnellement heureuse: aucun accident grave ne s'est produit.
Cela valait bien une fastueuse inauguration à la mi-décembre, en présence de Chirac et de 1500 invités. Elle a coûté la bagatelle d'un million d'euros, tous frais payés par Eiffage, la société chargée de la construction qui avait enlevé le marché.
Pour les capitaux privés, c'est un investissement jugé très rentable et garanti pour une longue durée. Il y a d'abord le péage: 4,90 euros pour les voitures en ce moment, car le prix grimpera à 6,50 euros en été, et 24,30 euros pour les camions.
Eiffage espère bien récupérer ses 400 millions d'euros en dix ans, alors qu'elle a une concession de l'ouvrage pendant 75 ans, jusqu'à fin 2079. Avec des dividendes importants attendus: 15% d'intérêt par an.
C'est le ministre communiste Gayssot qui a tenu, en signant le contrat avec Eiffage, à ce qu'il y ait un péage pour la traversée du viaduc, et cela malgré des oppositions au sein même du PCF.
Ensuite la ville de Millau espère aussi quelques retombées financières. Cela compensera peut-être un peu, grâce à une taxe professionnelle qui sera calculée à partir du chiffre d'affaires qu'Eiffage voudra bien publier, l'industrie du cuir qui périclite dans la ville.
Autre exemple de bénéfices escomptés: du côté des grosses sociétés de transports routiers. Le péage du viaduc sur l'autoroute A75 leur reviendra moins cher que le passage par la vallée du Rhône, tout le reste du trajet entre Clermont-Ferrand et Béziers étant gratuit. Du coup, le trafic poids-lourds va s'intensifier considérablement. On prévoit jusqu'à 5000 camions par jour au lieu des 1500 actuellement. Les répercussions d'un tel trafic risquent de se faire sentir jusqu'à Clermont-Ferrand où certains élus, ainsi que les Chambres de commerce, font déjà campagne pour la mise en chantier de gros travaux de contournement complet de la capitale auvergnate.
Quant à la spéculation immobilière, elle n'est pas spécialement à la traîne. Que ce soit pour des résidences secondaires, l'hôtellerie ou la restauration, le prix des terrains est en train de flamber. À partir de Millau et surtout autour de Béziers, les terrains disponibles sont déjà vendus. Les agences immobilières elles-mêmes ne peuvent plus satisfaire les demandes, alors que le prix du mètre carré, de 3000 à 4000 euros, atteint le niveau de celui de la Côte d'Azur.
Ce viaduc, s'il est bienvenu pour les automobilistes, se révèle donc aussi comme un pont d'or pour les agences immobilières et de tourisme, les grosses sociétés de transport par camion, la société Eiffage et les banques qui lui sont liées. Pour tous ceux-là, il est un cadeau de Noël somptueux qui, selon leurs calculs, devrait apporter sa manne pendant des dizaines d'années. Ces alchimistes des temps modernes savent transformer des centaines de milliers de tonnes d'acier et de béton en leur pesant d'or.