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Chili : Pinochet sur la sellette
Lundi 21 décembre, la cour d'appel de Santiago, la capitale chilienne, a confirmé l'inculpation de l'ancien dictateur chilien, Augusto Pinochet, responsable du coup d'État militaire du 11 septembre 1973, qui renversa le gouvernement élu du socialiste Allende. Pour éviter le procès à leur client, ses avocats vont maintenant faire un recours auprès de la Cour suprême, en invoquant l'état de santé de l'ex-dictateur, âgé aujourd'hui de 89 ans.
Jusqu'à présent, Pinochet a toujours réussi à esquiver les poursuites déclenchées contre lui, en usant parfois de stratagèmes médicaux. Cette nouvelle inculpation est la suite d'une action judiciaire lancée en août dernier. Son immunité (qu'il s'était lui-même octroyée en aménageant la constitution quand il était encore au pouvoir) avait été levée dans le cadre de poursuites concernant l'affaire du «Plan Condor», cette coordination de plusieurs services secrets d'Amérique latine pendant les années soixante-dix. En accord avec les États-Unis, l'objectif de ce plan était d'écraser tous les opposants se réclamant du mouvement ouvrier, du communisme, du socialisme, du syndicalisme, de la guérilla nationaliste. Plusieurs pays, comme le Chili, l'Argentine, la Bolivie, le Brésil ou l'Uruguay, ont alors subi des coups d'État et une vague de répression. La coordination entre les services secrets permettait de poursuivre et d'éliminer des opposants, même s'ils réussissaient à sortir de leur pays d'origine.
Même si elle peut être remise en cause par la Cour suprême, la décision de la cour d'appel est cependant une victoire morale pour toutes les victimes de cette dictature féroce, qui espèrent, depuis 31 ans, la condamnation du criminel en chef.
La «Commission nationale sur les emprisonnements politiques et la torture», présidée par l'évêque catholique Sergio Valech, a fait connaître, en novembre dernier, ses conclusions sur les quinze ans de règne de Pinochet. Quelque 28000 personnes ont témoigné sur la répression dont ils ont été victimes, et notamment des actes de torture abjects. Si on ajoute les 3000 personnes assassinées par la dictature, ce sont plus de 30000 personnes qui en ont été victimes à un titre ou à un autre.
L'affaire pour laquelle Pinochet est aujourd'hui poursuivi n'en représente cependant qu'une toute petite parcelle, puisqu'il s'agit d'un assassinat et de neuf disparitions d'opposants, dont les corps n'ont pas été retrouvés.
Il reste que, jusqu'à présent, Pinochet a échappé à toutes les poursuites lancées contre lui. Arrêté par la police britannique en 1998 à la suite d'une demande d'extradition venue d'Espagne, il était renvoyé au Chili, deux ans après, par le gouvernement britannique pour «raisons de santé». Les télévisions du monde entier l'avaient alors montré se levant tout guilleret d'un fauteuil roulant à son arrivée à l'aéroport de Santiago.
En 2000, son immunité était levée pour l'affaire de la «caravane de la mort» (une colonne de militaires ayant assassiné 57 opposants et enlevé 18 autres). Mais, en 2002, la Cour suprême chilienne arrêtait les poursuites là encore pour un «état de santé fragile». Autant dire que Pinochet peut cette fois encore espérer un nouveau sursis.
On sait ici, notamment à travers la récente libération de Papon pour raison de santé (un amateur par comparaison avec Pinochet), comment le fameux «État de droit», qui sert partout et d'abord la classe riche, n'est jamais à court d'arguties pour ménager les canailles qui ont servi les possédants. Que dans cette tâche, ils aient plongé les mains dans le sang ne constitue pas une circonstance plus aggravante que cela. Pinochet peut donc raisonnablement espérer couler heureux ses derniers jours.