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Dans le monde
Palestine : Arafat est enterré, mais pas le peuple palestinien
C'est une foule immense qui a accueilli le cercueil de Yasser Arafat à Ramallah, le 12 novembre, où il revenait pour être inhumé après son décès la veille, à l'hôpital Percy de Clamart. Les télévisions du monde entier ont retransmis les images de cette foule vibrante d'émotion, pour qui les obsèques d'Arafat se sont transformées en une énorme manifestation, en un témoignage de vitalité de la part d'un peuple dont, depuis des années, les dirigeants d'Israël cherchent à nier jusqu'à l'existence.
Malgré les bouclages, malgré les contrôles, malgré la répression incessante dont il est l'objet, le peuple palestinien est là, il vit et il l'a proclamé à la face du monde.
Le nom du vieux leader de l'Organisation de Libération de la Palestine, devenu président de l'Autorité palestinienne, restera sans doute longtemps, et pour l'histoire, comme un symbole de la lutte de son peuple pour une existence nationale qui lui était refusée. En l'assiégeant ces dernières années au siège de l'Autorité palestinienne à Ramallah, la Muqata, en en faisant la cible de leurs attaques et parfois des tirs de leurs tanks, les dirigeants israéliens ont même sans doute contribué à renforcer encore cette image.
Les dirigeants israéliens et américains ont laissé entendre que la mort d'Arafat ouvrait peut-être une nouvelle voie à la paix entre Israël et les Palestiniens. Ce n'est que la suite de ce mensonge, renouvelé depuis des années, selon lequel ce serait l'intransigeance d'Arafat qui y aurait fait obstacle. Comme si ce n'était pas les Territoires palestiniens qui sont occupés depuis des années, qui sont colonisés par Israël et qui sont la cible des attaques de son armée! Comme si Arafat n'avait pas accepté presque toutes les concessions que les dirigeants israéliens et occidentaux voulaient lui imposer! Comme si ce n'était pas le gouvernement Sharon et ses prédécesseurs à la tête d'Israël qui, après avoir signé les accords d'Oslo en 1993 pour mettre fin à la première Intifada, ont ensuite tout fait pour vider ces accords de leur substance!
Ce n'est pas d'Arafat, vivant ou mort, c'est bien du peuple palestinien et des peuples voisins que les dirigeants israéliens ont peur, et pas seulement eux. On l'a encore vu juste avant l'inhumation du corps d'Arafat, lorsque celui-ci a fait escale en Egypte pour une cérémonie d'hommage en présence des chefs d'État ou de gouvernement, ou de représentants du monde entier. Celle-ci s'est déroulée dans un club militaire de la banlieue du Caire, proche de l'aéroport situé aux portes du désert, et surtout loin de la foule. Les dirigeants égyptiens, mais aussi avec eux les dirigeants des autres États arabes et au-delà les dirigeants des grandes puissances, craignaient visiblement qu'un hommage populaire à Arafat au Caire ne se transforme, comme ce fut le cas lors de la mort de Nasser, en une manifestation monstre dont ils risquaient de perdre le contrôle.
Et pourtant Arafat ne représentait pas vraiment les intérêts des masses pauvres palestiniennes, pas plus que Nasser ne représentait en réalité les intérêts des masses pauvres égyptiennes. Nasser représentait une bourgeoisie égyptienne cherchant à diminuer un peu la pression qu'elle subissait de la part de l'impérialisme. Arafat, lui-même issu de la bourgeoisie palestienne, voulait obtenir pour celle-ci une place au soleil et avant tout un État. Pour lui, cela signifiait surtout des postes pour ses semblables, plus que la conquête d'une véritable liberté et la satisfaction des revendications essentielles de son peuple. Et pour l'obtenir il comptait au fond bien plus sur le soutien des dirigeants des États arabes et des grandes puissances que sur la lutte de celui-ci.
Les dirigeants des grandes puissances l'avaient bien compris, et même ceux d'Israël. La reconnaissance officielle de l'OLP par l'ONU en 1974 et les hommages rendus à son leader par la suite étaient un moyen de s'assurer d'un homme capable d'encadrer le mouvement palestinien. À plusieurs reprises, il en a donné la preuve, notamment lorsque, en Jordanie ou au Liban, la lutte des Palestiniens risquait d'entraîner les masses d'autres pays arabes et de déstabiliser leurs régimes et qu'Arafat s'y est opposé. Alors, pour les dirigeants des grandes puissances, reconnaître Arafat et l'OLP signifiait prendre une assurance et ne signifiait pas, et on l'a vu, reconnaître vraiment les droits du peuple palestinien.
Malgré tout, la question palestinienne demeure et elle garde son caractère explosif. La situation des Palestiniens et leur lutte continuent d'apparaître aux peuples de toute la région comme un symbole de leur propre situation. L'attitude provocatrice des dirigeants d'Israël dans les Territoires occupés, tout comme celle de l'armée américaine en Irak, ne fait qu'augmenter les risques d'explosion dans tout le Moyen-Orient. Et, même si certains dirigeants israéliens ou américains le croient peut-être, l'enterrement d'Arafat n'est pas celui du peuple palestinien. Celui-ci ne se sent nullement vaincu, et il vient encore d'en témoigner.
Alors, quel que soit le leader qui remplacera finalement Arafat, il faudra bien tôt ou tard reconnaître les droits des Palestiniens. C'est non seulement l'intérêt de ceux-ci, c'est aussi celui des Israéliens; la politique de leurs dirigeants ne leur ouvre d'autre perspective qu'une guerre sans fin et il leur faudra bien, un jour ou l'autre, trouver malgré leurs dirigeants la voie d'une coexistence fraternelle avec les peuples voisins, sans murs de séparation, sans points de contrôle armés, sans racisme et sans apartheid.