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Guerre d'Algérie : Des "civilisateurs" qui n'ont encore rien compris
Nombre de commentaires, concernant cette guerre d'Algérie qui débuta il y a maintenant cinquante ans, veulent nous faire croire que les principales, sinon les seules victimes, en seraient les pieds-noirs que l'issue de cette guerre aurait privés de leur "patrie", les coupant des liens avec leurs ancêtres. C'est pour le moins une présentation simplifiée de l'histoire.
Certes, la quasi-totalité des Européens d'Algérie (et les descendants des Juifs algériens à qui la France avait octroyé la nationalité française, en application de la devise "diviser pour régner") se sont vus contraints à l'exil à l'été 1962. La politique du FLN n'était d'ailleurs pas seule en cause dans cette situation. La responsabilité de l'OAS, qui avait tout fait dans les derniers mois du conflit pour approfondir le fossé entre Algériens et Européens, était bien plus grande. Sans parler de celle de tous les politiciens, qui au nom de "l'Algérie française", avaient utilisé les pieds-noirs comme masse de manoeuvre.
Pour les plus fortunés des colons, qui avaient des comptes en banque bien garnis, quitter l'Algérie n'était pas un drame. Mais pour les centaines de milliers de "petits blancs", qui avaient certes un statut privilégié par rapport à la population indigène, mais qui durent abandonner une grande partie de leurs biens, il n'en fut pas de même.
Mais la plus simple décence aurait voulu qu'on parle un peu plus du sort infiniment plus tragique de la population algérienne, qui connut pendant des années les exactions de l'armée française, les mechtas bombardées, les "villages de regroupement" où des milliers d'êtres humains furent parqués, sans même qu'on leur donne le minimum nécessaire pour survivre.
Au lieu de cela, on a pu voir à la télévision d'anciens colons affirmer qu'ils auraient édifié ce pays, y construisant routes, écoles, hôpitaux, ainsi que des exploitations agricoles modernes. Mais si quelques colons ont pu constituer de vastes domaines, sur lesquels ils employaient pour trois fois rien des ouvriers agricoles arabes, les écoles et hôpitaux étaient, eux, beaucoup moins florissants. Preuve en est qu'en 1954, au début de l'insurrection algérienne, moins de 10% de la population algérienne était alphabétisée. La "civilisation française", les Algériens l'ont surtout connue ici, en France, expatriés, devant aller chaque matin de leur bidonville ou de leur misérable chambre d'hôtel à l'usine, pour travailler sur les chaînes, chez Renault, Citroën ou dans d'autres grandes entreprises.
D'autres commentaires insistent sur le fait que cette guerre n'aurait été que l'affrontement entre deux pratiques barbares, l'une répondant et justifiant l'autre. Il est indéniable que le FLN n'a pas répugné à des pratiques ignobles, à commencer par l'usage du terrorisme qui visait de façon aveugle, condamnable sans réserve car il n'aide pas la population à se libérer de l'oppression subie. Ces méthodes terroristes relevaient d'un choix politique. Il visait, sinon à créer -car il existait déjà-, du moins à approfondir le fossé de ressentiments, d'hostilité, voire de haine entre les deux communautés. Du même coup, l'appareil militaire du FLN s'imposait comme l'embryon du futur appareil d'État algérien. Menant et choisissant sa politique hors de tout contrôle de la population algérienne, il brisait aussi préventivement toute contestation de la part de celle-ci et s'érigeait comme son représentant sans partage.
Mais expliquer la guerre d'Algérie par l'affrontement de deux appareils militaires, chacun usant des mêmes méthodes, c'est un peu court. Les tenants de la répression coloniale, partisans et souvent pratiquants de la torture, et pas le moins du monde repentants, cherchent à justifier cinquante ans plus tard leurs pratiques dégradantes. Mais ils feignent d'oublier que dans le domaine de la barbarie, ils étaient les héritiers d'une tradition déjà longue. Sans remonter à la conquête de l'Algérie en 1830 et dans les années qui suivirent, et aux prouesses barbares des soldats de l'armée coloniale d'alors, il y eut, entre autres, la répression qui suivit les manifestations de Guelma et de Sétif en août 1945. Du côté des Européens, il y eut moins d'une trentaine de morts, et du côté des Algériens il y en eut des dizaines de milliers. Ce n'était plus la simple loi du talion, mais une loi du talion puissance cent. Et cette disproportion entre les victimes des deux camps s'est perpétuée durant les huit ans de la guerre d'Algérie.
Ceux qui voudraient nous faire croire aujourd'hui que le FLN ne s'imposait que par la seule terreur sur la population algérienne auraient bien du mal à expliquer pourquoi l'appareil militaire français, disposant d'un armement moderne, d'une armée de plusieurs centaines de milliers d'hommes présents sur le terrain, utilisant la répression terroriste à l'échelle du pays, usant systématiquement de la torture, n'a pas réussi à rallier la population algérienne à sa cause, ou même à la soumettre.
Cinquante après, les colonisateurs ne s'interrogent toujours pas sur leur histoire, et ne veulent toujours pas comprendre que l'on s'est révolté contre eux parce qu'ils étaient les tenants d'une exploitation insupportable, doublée d'une oppression odieuse. Mais il suffit de les voir, aujourd'hui encore, revendiquer leurs actes sans la moindre gêne, pour s'en faire une idée.