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Editorial
Leur argent les intéresse
Chirac, en visite officielle en Chine, est content. Les hommes d'affaires et les patrons de grandes entreprises qui l'accompagnent aussi. Alstom, Airbus, Dassault, Alcatel ou Suez auraient déjà décroché pour plus de quatre milliards d'euros de contrats supplémentaires.
On disait, au temps de la IVe République, que les présidents de la République ne servaient qu'à inaugurer les chrysanthèmes. Depuis, la profession est devenue plus variée et Chirac, lui, excelle apparemment dans le rôle du représentant de commerce des grandes entreprises françaises.
Le marché chinois les intéresse. On décrit ce pays le plus peuplé du monde, avec ses 1,3 milliard d'habitants, comme un pays en plein essor économique. Et de multiplier les reportages sur les quartiers ultra-modernes de Shangaï ou de Pékin, où poussent tours et édifices ultra-modernes à la place de vieux quartiers que l'on démolit en en chassant les habitants loin vers la périphérie. Et de citer des taux de progression de la production à faire fantasmer les capitalistes de chez nous.
L'enrichissement qui en résulte n'améliore le niveau de vie que d'une petite fraction de la population chinoise. Un sur vingt ou un sur dix au mieux peuvent espérer accéder à un niveau de vie occidental, s'acheter une voiture, s'équiper de tous ces biens de consommation que les industriels français voudraient bien leur vendre.
Mais un Chinois sur vingt, cela représente autant que toute la population de la France. Et comme diraient nos représentants commerciaux, à l'exemple de cette publicité d'une grande banque il y a quelques années: "leur argent nous intéresse".
La pauvreté de l'immense majorité des habitants de la Chine n'a jamais rebuté les hommes d'affaires occidentaux.
Rappelons qu'il y a un plus d'un siècle et demi, en 1840, l'Angleterre a envoyé les canonnières pour obliger l'empereur chinois d'alors à ouvrir les portes de son pays à ce commerce très particulier qu'était celui de l'opium. On a appelé cela la guerre de l'opium et c'est par cet acte de violence des dealers occidentaux qu'ont débuté les relations commerciales entre la Chine et l'Occident.
Aujourd'hui, c'est la Chine elle-même qui ouvre toutes grandes ses portes car l'intégration croissante dans le monde capitaliste permet à sa classe dirigeante de s'enrichir beaucoup et vite. Mais l'enrichissement d'une minorité repose sur l'immense misère de la majorité. Et l'"essor" économique accélère les inégalités.
Des millions de paysans sont chassés par la misère vers les grandes villes, où ils offrent une main- d'oeuvre bon marché aux nouveaux riches chinois... et aux capitalistes occidentaux.
Les reportages ont montré une de ces entreprises françaises ultra-modernes dans lesquelles travaillent des ouvrières payées 25 fois moins qu'en Occident. Et elles se déclaraient heureuses car pour les autres, c'est pire.
Aussi, bien que les dirigeants de la Chine se disent "communistes", ce pays plaît à nos grands patrons. Interrogé à la radio, le patron de Schneider, présent aux côtés de Chirac, se montrait fort compréhensif pour le manque de démocratie en Chine car, disait-il en substance, il faut d'abord assurer le développement. Qu'importent en somme les libertés puisque celle de faire des affaires existe et que celle d'exploiter est garantie par un État fort.
Les travailleurs de Chine et les travailleurs de France n'ont rien à attendre ni de ce genre de voyage ni de cet essor chinois qui est exclusivement celui d'une classe riche.
Ce qu'on peut espérer cependant, c'est que, avec les chantiers qui se multiplient, les nouvelles usines qui poussent, tout cela renforcera le prolétariat chinois, mal payé, exploité, qui saura rappeler son existence à tous ceux qui, en Chine même ou en Occident, s'enrichissent sur son dos.
Arlette LAGUILLER
Éditorial des bulletins d'entreprise du 11 octobre 2004