Haïti : Après le cyclone, la loi des bandes armées13/10/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/10/une1889.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Haïti : Après le cyclone, la loi des bandes armées

La catastrophe provoquée par la tempête tropicale "Jeanne", qui a sans doute tué 3000 à 4000 personnes dans la région de l'Artibonite et dans le Nord, a attiré pendant quelques jours l'attention des médias sur Haïti. Pour soigner leur image, les grandes puissances ont fait quelques gestes qui restent dérisoires au regard des énormes besoins des sinistrés. Mais le voile est vite retombé, non seulement sur la situation des sinistrés mais aussi sur celle de toute la population pauvre du pays.

Et pendant que la population de Gonaïves se bat pour survivre au milieu des boues fétides, le gouvernement Latortue, mis en place par les troupes américaines et françaises en 2004, étale son impuissance à organiser un minimum de secours.

En réalité, plusieurs mois après sa mise en place, ce gouvernement ne contrôle absolument pas le pays, ni même la capitale Port-au-Prince. Haïti reste soumis à la loi des bandes armées, chacune poursuivant des intérêts propres et sa politique. Il y a d'abord la police, gangrenée par la corruption, qui compte environ 3000 hommes mal armés et dont certains n'hésitent pas à faire cause commune avec le grand banditisme. Il y a également les "chimères", bandes armées au service de l'ex-président Aristide, qui règnent en maîtres sur les quartiers pauvres de la capitale, comme Cité Soleil et Bel-Air, où la police se garde bien de mettre les pieds. Il y a encore les bandes constituées par des éléments de l'ancienne armée d'Haïti qui, responsable du renversement d'Aristide en 1991 et des massacres qui suivirent, fut dissoute en 1994 par le même Aristide, remis en selle cette année-là grâce à l'intervention militaire américaine. Aujourd'hui, ces bandes revendiquent la reconstitution de l'ancienne armée ainsi que le versement de leur solde, avec effet rétroactif depuis 1994.

Les affrontements entre ces bandes armées ont pris un nouveau tournant le 30 septembre, lorsque les partisans armés d'Aristide ont décidé de célébrer à leur manière l'anniversaire du coup d'État militaire de 1991 et de réclamer le retour d'exil d'Aristide. Ils ont lancé l'opération baptisée "Bagdad", en référence à la situation de chaos qui règne aujourd'hui en Irak, dressant des barricades dans plusieurs quartiers populaires comme Bel-Air, La Saline et Cité Soleil. En moins d'une semaine, ces affrontements ont fait près d'une dizaine de morts parmi les policiers.

Depuis, la vie dans la capitale s'est presque arrêtée, les écoles fonctionnent au ralenti, le commerce également. Les chimères dictent leur loi à tout le monde, et les gens ont peur.

La situation est pire encore dans les quartiers populaires où les travailleurs, les "djobeurs" (ceux qui vivent de petits boulots), les petits marchands sont pris pour cible. Leurs maisons sont pillées, les femmes sont violées et on ne compte plus les cadavres mutilés. Ceux qui le peuvent tentent de se faire héberger par des amis ou des collègues de travail dans des quartiers moins exposés.

Quant aux forces de la Minustah, mission des Nations Unies censées stabiliser la situation du pays, elles se gardent bien de s'interposer. Ses 3000 soldats ne sont là que pour protéger le palais présidentiel, l'aéroport et la zone industrielle, pas pour protéger les quartiers pauvres.

Le 7 octobre, 150 policiers et 200 militaires de la Minustah ont néanmoins mené une opération dans le quartier de Bel-Air pour dénicher des caches d'armes, mais les chimères, avertis, avaient eu le temps de prendre le large avec leur armement. Par contre, quelques heures après le départ des policiers, les partisans armés d'Aristide sont ressortis, érigeant de nouvelles barricades dans le quartier Bel-Air, occupant également le centre-ville. Ils ont pillé des magasins, incendié des véhicules et perpétré plusieurs assassinats.

Quant aux anciens militaires, ils essayent de tirer parti de ce chaos. Ils ont ressorti leurs armes et ont occupé plusieurs bâtiments publics pour appuyer leurs revendications. Ils menacent même d'en découdre eux-mêmes avec les chimères si le gouvernement se montre incapable de pacifier le pays.

Pour l'heure, c'est surtout la population pauvre qui fait les frais de cette violence. Désorganisée, elle est soumise à la loi des bandes armées, et n'a rien à attendre de bon de la part de l'une ou de l'autre.

Partager