Les cyclones tuent, mais l’ordre social encore plus29/09/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/10/une1887.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

Les cyclones tuent, mais l’ordre social encore plus

Une succession de cyclones a semé la désolation dans plusieurs îles de la mer des Caraïbes et en Floride aux États-Unis. En Haïti, la tempête tropicale a fait 2500 morts officiellement recensés, et près de 300000 sans-abri. Et ces chiffres sont en dessous de la vérité car personne ne connaît le nombre d'habitants dans les quartiers pauvres ou les villages submergés par l'eau. Nul ne peut prédire non plus combien de femmes, d'hommes, d'enfants mourront par la suite de dysenterie, de typhus ou de choléra, tant ces épidémies menacent, avec l'eau boueuse comme seule boisson, charriant des immondices, des cadavres d'hommes et d'animaux. Et combien d'autres mourront tout simplement de soif ou de faim?

Mais pourquoi le nombre de victimes en Haïti est-il 50 fois plus important que dans l'ensemble des autres régions touchées? La même pluie tropicale a fait plus de dégâts que partout, car les collines ont été déboisées par les pauvres pour qui le charbon de bois est le seul moyen de survivre; parce qu'il n'y a pas de système d'évacuation des eaux; parce que les pauvres s'entassent dans des cases de fortune; parce qu'ils n'ont même pas été avertis de l'approche de la tempête et que de toute façon ils n'avaient pas où fuir.

Ceux qui sont morts, sont morts surtout de la pauvreté. La leur propre et celle de tout ce pays sans infrastructure et sans équipement.

La fatalité? Non, Haïti meurt en réalité de l'organisation capitaliste de la société, dont son histoire résume toutes les violences.

Il y a deux siècles seulement, Haïti était encore une colonie française. La plus riche de toutes les colonies de l'époque, «la perle des Antilles». Mais le travail des esclaves, qui produisaient du sucre pour la France, n'a enrichi que les propriétaires et les trafiquants d'esclaves, faisant la fortune de bien des familles bourgeoises de France.

Et lorsque, il y a deux siècles, les esclaves se sont révoltés et ont vaincu les troupes de Napoléon pour se libérer, toutes les grandes puissances se sont liguées pour faire payer leur audace aux esclaves. Avec la complicité de la couche de profiteurs haïtiens, la France a réussi à imposer au pays le dédommagement des anciens propriétaires d'esclaves. Les anciens esclaves ont dû racheter une liberté qu'ils avaient pourtant conquise. Pendant près d'un siècle, Haïti, ses classes populaires, ont dû payer. Et même une fois la dette remboursée, le pays continue à être saigné. Les paysans survivent dans une effroyable misère et les rares ouvriers qui ont du travail sont payés un euro par jour, notamment par des filiales des grandes sociétés occidentales.

Et nos dirigeants osent se vanter des 40 tonnes de nourriture envoyées par la France, alors que même les chiffres officiels parlent de 250000 sans-abri, dont une grande partie n'ont pas mangé depuis une semaine! À peine plus de 100 grammes de riz par personne, que de toute façon les sinistrés n'ont pas la possibilité de cuire! Comment s'étonner des scènes d'émeutes lorsque attraper une miche de pain jetée du haut d'un camion entouré de soldats est une question de vie ou de mort?

Au lieu d'envoyer de la nourriture en quantité suffisante, la France y envoie des ministres. Et pendant que les dirigeants des États-Unis déploient des merveilles technologiques pour tuer en Afghanistan ou en Irak, ils laissent crever de faim des gens, survivant depuis plus d'une semaine juchés sur le toit de leur maison, alors que Haïti est à moins d'une heure de vol des côtes américaines.

Décidément, le système capitaliste, qui pour enrichir une poignée de riches laisse crever littéralement des populations entières, est vraiment un système pourri!

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprisedu 27 septembre 2004

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