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Tribune de la minorité
La grève, ni à la sauce gouvernementale... ni à la sauce syndicale
Face au projet de "service minimum" ou "service garanti" du gouvernement, les syndicats de cheminots ont annoncé qu'ils appelleront à une manifestation "d'ampleur nationale" le 25 novembre à Paris. Le moins qu'on puisse dire est qu'ils laissent au gouvernement un sacré préavis!
En relançant le débat, le gouvernement fait de la démagogie vis-à-vis d'un électorat anti-ouvrier, particulièrement monté contre ceux du public qui feraient grève pour un oui pour un non. Chirac avait promis de le venger dans ses voeux 2004. Il tente aussi de faire oublier que sa politique de restrictions sur le personnel et le matériel impose tous les jours, à la SNCF ou dans les hôpitaux, le "service minimum"!
L'opinion publique est-elle si dressée contre les travailleurs des transports ou autres services publics, quand ils se défendent collectivement par la grève? C'est selon. Certes, les journées d'actions sans lendemain, à moitié suivies, sans explication auprès du public, sont incomprises et parfois impopulaires. Mais les vrais combats, sur des objectifs qui généralement rejoignent l'intérêt des usagers, qu'ils explosent spontanément sur une ligne lors d'un accident ou d'une agression, ou qu'ils deviennent massifs pour des revendications largement partagées, ont toujours trouvé un répondant favorable. Même si elles enragent des petits commerçants mobilisés par certains notables. Il suffit de se rappeler la grève des cheminots de 1995, où la presse parlait, pour les autres travailleurs, de "grève par procuration". Tant elle avait la sympathie de tous ceux qui, sans s'y mettre, sentaient qu'une victoire des cheminots et des travailleurs des services publics, serait aussi la leur.
L'offensive actuelle du gouvernement dans les transports n'est pas la première limitation ni attaque du droit de grève. Le préavis existant est déjà une entrave. Plus récemment, notamment depuis les grèves sur les retraites de 2003, on a vu les directions de la Poste ou de la SNCF interpréter d'une façon plus restrictive encore ce préavis, considérant individuellement en "absence irrégulière" et de ce fait menacés de sanctions, les grévistes qui rejoignaient le mouvement et ne l'avaient pas démarré le jour du préavis. Fallait l'inventer!
Le projet de la commission Mandelkern, chargée par le gouvernement de préparer le dossier, ferait non seulement passer le délai de préavis de 5 à 10 jours, mais imposerait à chaque futur gréviste de se déclarer individuellement 48 heures à l'avance. La direction de la SNCF ou des entreprises de transports routiers pourrait ainsi réduire l'effet de la grève en organisant des remplacement (à condition que leur politique de sous-effectifs le permette!). Elles pourraient surtout limiter la grève aux seuls grévistes déclarés à l'avance, en menaçant de sanction ceux qui les rejoindraient. Et gageons que de telles mesures feraient des émules parmi les patrons du privé.
Les conseillers du ministre des transports ont mis la barre haute. Ils préconisent le passage en force, par le biais d'une loi. C'est le départ du marchandage. Car De Robien et Chirac se disent plutôt favorables à la médecine douce, qui serait pour eux une victoire politique supplémentaire: associer les directions syndicales elles-mêmes à la restriction du droit de grève.
Comme pour les retraites ou la Sécurité sociale, c'est gagné d'avance avec la CFDT. Celle-ci s'est empressée d'opposer au projet de la commission gouvernementale son propre frein aux grèves. Au sortir de chez De Robien, Chérèque a lancé à tous les syndicats et aux directions des entreprises de transports publics un appel à négocier, entreprise par entreprise, un dispositif "d'alarme sociale" comme celui de la RATP dont la CFDT se flatte d'avoir été promotrice. Le préavis de grève y est passé de 5 à 11 jours, et syndicats et directions s'y engagent à négocier, avant de brandir cette arme ultime que serait devenu... le préavis de grève!
Mais le son de cloche donné par la direction de la CGT de la SNCF n'est pas beaucoup plus rassurant. Si Didier Le Reste se dit farouchement opposé à toute nouvelle restriction, c'est aussi, selon lui, parce les syndicats sont responsables et les grèves plus rares aujourd'hui qu'hier. Il menace de "réactions sociales de hauts niveau" si le gouvernement "voulait passer en force". Mais s'il veut passer en douce? N'aurait-il pas l'oreille d'une CGT qui reproche au projet gouvernemental de jeter "de l'huile sur le feu à un moment où la conflictualité est en baisse". La CGT, elle, "avance des propositions pour améliorer le dialogue social", en premier lieu une "meilleure définition de l'obligation de négocier". Jusqu'au 25 novembre, c'est donc parti pour!
Certes, bien des cheminots et autres agents des services publics, se sentent peu concernés par ce qui leur semble une nouvelle escarmouche gouvernement-syndicats. Des séries de "journées d'actions" non préparées et sans lendemain ont émoussé la combativité.
Les syndicats veulent-ils réellement défendre le droit de grève, plus précisément les intérêts des travailleurs, qui ne font pas grève pour le plaisir mais pour obtenir satisfaction? Si oui, il ne manque pas aujourd'hui, à la SNCF et dans les services publics, de revendications unanimes, à commencer par l'augmentation générale des salaires et des effectifs. Ce n'est pas chez De Robien qu'il faut en deviser poliment, mais partout dans les gares, sur les chantiers, dans les hôpitaux et bureaux de poste. De toute urgence et sans préavis.
Si les dirigeants syndicaux bradaient un peu plus le droit de grève pour des privilèges de bureaucrates, resterait aux travailleurs à défendre eux-mêmes ce qui, légal ou pas, leur appartient en propre.
Olivier BELIN
Convergences Révolutionnaires n° 34 (juillet-août 2004) - bimestriel publié par la Fraction
Dossier: Accidents du travail et maladies professionnelles : faux frais de l'exploitation pour le patronat et l'État.
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