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Editorial
Les maîtres chanteurs
Le cas de l'usine Bosch de Vénissieux n'est pas resté isolé. La liste des entreprises qui ont recours au chantage à l'emploi pour tenter d'imposer à leurs salariés des concessions majeures ne cesse de s'allonger. Avec, par exemple, le cas de l'entreprise Ronzat, de Châlons-en-Champagne, qui demande à son personnel de choisir entre le retour aux 39 heures et le licenciement. Ou celui de Sediver, à Saint-Yorre, dont le patron, pour imposer une baisse de 30% des salaires, accompagnée d'une réduction d'effectifs, menace de fermer l'usine si les travailleurs n'acceptent pas.
Raffarin avait déclaré il y a un mois qu'il voyait, dans ces chantages à l'emploi, "dans certains cas" (mais pourquoi pas tous?) "un abus de rapport de forces". Mais il s'est bien gardé de prendre la moindre mesure contre ces abus. Le gouvernement continue d'affirmer au contraire qu'il faut "assouplir les trente-cinq heures". Dès cette semaine, le ministère du Travail doit recevoir des délégations des syndicats de salariés et du Medef, pour discuter de ce fameux "assouplissement". Et si les ministres ont le culot de dire qu'il s'agirait de permettre à ceux qui voudraient gagner plus de travailler plus, pour le patronat il s'agit de faire travailler plus pour le même salaire, voire pour un salaire moindre. Les patrons considèrent tout le verbiage ministériel comme un encouragement à continuer.
Car le patronat ne demande nullement l'abolition de la loi des 35heures, à laquelle l'ancienne ministre du Travail de Jospin, Martine Aubry, a donné son nom. Le patronat en a en effet retiré bien plus d'avantages que les salariés, à travers les clauses de modération salariale, d'annualisation du temps de travail, de flexibilité des horaires, prévues par la loi et présentes dans la plupart des accords signés entre les syndicats et les patrons. Il a eu l'argent du beurre, et maintenant il voudrait le beurre en plus. Et il se sert lui-même, sans même avoir besoin d'une révision de la loi, car en remettant l'application concrète des 35heures à des accords de branche, voire à des accords d'entreprise, la loi Aubry a contribué à émietter les forces du monde du travail. Et c'est suivant la même logique, entreprise par entreprise, qu'on voit le patronat entreprendre d'imposer l'allongement des horaires de travail, ou des baisses de salaires, ou les deux, en commençant par celles où il craint le moins les réactions des travailleurs, pour s'attaquer ensuite aux autres s'il parvient à ses fins.
Et ce n'est pas l'état de santé des entreprises qui nécessite les sacrifices que le patronat veut imposer à la classe ouvrière. Les entreprises, dans la grande majorité des cas, se portent très bien. La croissance économique sera supérieure aux prévisions, ne cesse d'ailleurs de proclamer le gouvernement. Les bilans de toutes les grandes sociétés montrent qu'elles font des profits considérables. Les revenus des PDG battent des records de hausse, ce qui signifie que ceux de leurs actionnaires font de même. Mais il n'y a pas de limites à la soif de profits de la bourgeoisie. Et tant qu'elle croira ne pas courir le risque d'une explosion sociale, elle s'emploiera à augmenter encore la part des richesses produites qu'elle accapare au détriment de celle qui revient aux travailleurs.
Le monde du travail n'a que trop fait confiance à des dirigeants qui lui affirmaient que la lutte des classes était dépassée, qu'il pouvait améliorer son sort par la concertation, par des discussions autour du tapis vert, entreprise par entreprise. Et le résultat, c'est que le progrès social, fruit des luttes passées du mouvement ouvrier, a laissé la place à une véritable régression sociale.
Le patronat ne freinera sa soif de profit, les politiciens à son service ne renonceront aux attaques contre la Sécurité sociale, à l'abandon des services publics, que s'ils craignent une réaction du monde du travail. Ils travaillent, d'une certaine manière, par leurs provocations, à la préparer.