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Editorial
Peu de pain, mais beaucoup de cirque !
" Du pain et du cirque - voilà ce qu'il faut au peuple pour qu'il soit content ", disaient les dignitaires de l'ancienne Rome, qui avaient le même mépris cynique que les dirigeants du monde d'aujourd'hui. Du pain que les empereurs faisaient distribuer, à l'occasion, au petit peuple de Rome, et surtout des jeux pour le détourner de sa misère quotidienne.
Depuis samedi 14 août, de la télévision à la radio, en passant par la presse écrite, il n'y en a que pour les Jeux Olympiques : seul le pape a réussi à se frayer un chemin au milieu des informations sportives, mais Lourdes n'a fait que promettre des miracles, en plus du cirque.
On peut prendre plaisir devant le sport-spectacle, fût-il obtenu après des années d'entraînement que le sportif amateur ne peut certes pas se permettre (sans même parler de ces produits miracles de la chimie, qui rendent les performances plus spectaculaires, mais au prix de la santé des athlètes). Les prestations des nageuses, des athlètes ou des gymnastes témoignent au moins des extraordinaires possibilités du corps humain. Mais, pendant que des athlètes de vingt ans courent ou nagent pour des médailles, à l'arrière, les membres nettement moins sportifs des conseils d'administration de Nike, Adidas, Reebok ou Puma s'opposent pour des bénéfices que chaque jeu olympique, chaque épreuve sportive accroissent.
Les rôles sont bien distribués : aux jeunes athlètes de jouer les hommes sandwichs et faire sur leurs maillots la publicité pour ces marques, pendant que d'autres jeunes, voire des enfants, dans les pays pauvres, s'épuisent, pour des salaires dérisoires, à fabriquer les vêtements de sport achetés par d'autres.
Les Jeux Olympiques sont avant tout une affaire de gros sous, et pas seulement pour les fabricants de vêtements ou de chaussures de sport. Combien les immenses chantiers d'Athènes ont-ils rapporté de bénéfices aux Bouygues de là-bas et sans doute aussi d'ici ? Combien vaut, en termes de publicité, le sponsoring des Jeux Olympiques, avec tous les sponsors officiels, de McDonald's à Accor, en passant par Coca-Cola, Samsung, Kodak et autres Heineken ?
Jamais l'organisation des Jeux n'a coûté aussi cher, dit-on à propos des Jeux d'Athènes. Mais on avait entendu déjà cela à Sydney ou à Atlanta, il y a quatre et huit ans ! Mais s'ils coûtent cher aux contribuables, ils rapportent en conséquence. Oh, pas aux sportifs : ils ont droit à la gloire, fugitive pour beaucoup d'entre eux ! Mais dans les stades, cela se passe au fond comme dans les usines, les bureaux ou sur les chantiers : ce ne sont pas ceux qui font l'effort qui en récoltent le plus de bénéfices !
Oui, on peut prendre plaisir au spectacle mais il est assorti d'une débauche de nationalisme, où chaque performance d'athlète se transforme en victoire nationale sur " les autres ". Et il est plus facile pour Chirac de se féliciter des résultats d'une judoka française que de s'opposer aux délocalisations.
Un commentateur de télévision, emporté par son enthousiasme pour les Jeux Olympiques, a glissé : " Les téléspectateurs ne sont même pas obligés de réfléchir, il suffit d'admirer. " Mais la réalité revient au galop dès qu'on cesse de regarder le spectacle. Il ne peut faire oublier les vagues de licenciements. Il ne peut faire oublier les usines qui ferment, les femmes et les hommes tombés dans la misère parce que, depuis qu'ils sont licenciés, ils ne parviennent pas à retrouver du travail. Il ne peut faire oublier à tous le pouvoir d'achat qui baisse parce que les salaires n'augmentent pas assez. Dans l'ancienne Rome, à côté du cirque, il y avait au moins les distributions de pain. En ces temps modernes, on est nettement plus chiche pour distribuer des augmentations de salaire.
Et disons-nous bien que, si difficile que soit une lutte pour une augmentation générale des salaires, elle rapportera bien plus que ne nous rapporteront toutes les médailles en chocolat distribuées dans ces Jeux.
Arlette LAGUILLER
Editorial des bulletins d'entreprise du 16 août 2004