Russie : Le PDG-voleur et ses défenseurs occidentaux12/08/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/08/une1880.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Le PDG-voleur et ses défenseurs occidentaux

On reparle beaucoup de «l'affaire Ioukos», ces derniers temps. Moins en Russie d'ailleurs qu'en Occident, où il se trouve des âmes sensibles qu'émeut le sort de Khodorkovski, le président de Ioukos (le premier groupe pétrolier russe), arrêté en octobre 2003. Son procès, qui a débuté en juillet, a déjà abouti à la saisie des actifs de Ioukos par la justice russe et pourrait bien se terminer par le fait que Khodorkovski soit dessaisi de «sa» compagnie. Présenté comme l'homme le plus riche du pays, il fait depuis des mois l'objet d'une campagne internationale de soutien, dont l'un des derniers trucs, ces jours-ci, est de présenter les ennuis du patron de Ioukos comme un «feuilleton (qui) affole les prix» du pétrole (Les Échos du 7 août)...

Inculpé «d'évasion fiscale et d'escroquerie à grande échelle», cet individu doit 8 milliards de dollars au fisc russe pour la seule période 2000-2003. Comme ses pareils, ces proches du pouvoir qui ont bâti des fortunes colossales en un rien de temps, il a constitué la sienne lors de la mise à l'encan des grandes entreprises publiques russes, il y a dix ans. Grâce au soutien du gouvernement d'alors, il avait pu rafler Ioukos pour une bouchée de pain: 350 millions de dollars, près de cent fois moins que les 30 milliards de valeur estimée pour cette compagnie! Le parcours de Khodorkovski a, bien sûr, été semé de cadavres de rivaux malchanceux, de trafics et pots-de-vin gigantesques: autant d'affaires étouffées jusqu'alors par la justice. Une biographie typique de ces mafieux affairistes entretenant des liens étroits avec les hautes sphères de l'appareil d'État, qu'en Russie on nomme «oligarques».

Dès l'automne dernier, le gouvernement américain faisait part au Kremlin de sa «préoccupation», l'inculpation de Khodorkovski ayant fait capoter la fusion entre Ioukos et Sibneft, une autre compagnie pétrolière russe. Les autorités russes craignaient, en effet, que cette fusion ne couvre une opération d'évasion de capitaux vers des comptes off-shore et que ce nouveau groupe ne passe aux mains des géants du pétrole américains. En avril 2004, le fisc russe ayant chiffré ce que Ioukos lui devait, des banques américaines mirent en garde le Kremlin, prétendant que cela acculerait Ioukos à la faillite.

Condoleezza Rice, conseillère à la Défense du président des États-Unis, est intervenue à Moscou en faveur de Khodorkovski, qui finance une fondation administrée par cette dame aux côtés de Bush père. La presse financière américaine décrit Khodorkovski comme un démocrate et martèle qu'il subit la vindicte du président russe Poutine. L'OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique), qui décrivait en 1997 le raid de Khodorkovski sur Ioukos comme l'exemple-type de l'économie de rapine née des décombres de l'URSS, dénonce maintenant «l'application très sélective de la loi» dont pâtirait ce même Khodorkovski. Straw, actuel ministre anglais des Affaires étrangères, a rappelé «l'importance d'un environnement stable et prévisible» que compromettrait ce procès. Sans oublier les interventions de l'ex-Premier ministre canadien Jean Chrétien ni les cartels financiers (banques américaines, famille régnante de l'émirat de Dubaï, etc.) qui proposent d'éteindre les poursuites en épongeant la dette fiscale de Ioukos, en échange d'une part de son capital.

La presse française prend part à cette campagne. Le 5 juillet, Libération titrait en Une: «Le hold-up du Kremlin». Oublié le hold-up, gigantesque, perpétré contre la population et l'économie russes par Khodorkovski: il serait devenu la victime d'un «cortège d'humiliations, de perquisitions, d'emprisonnements et d'ultimatums», condamné «pour l'exemple» pour avoir «voulu tenir tête à Poutine». Le 17 du même mois, Libération donnait la parole à un ancien ministre russe, protecteur de Khodorkovski. Il plaignait les «oligarques», «tous très effrayés» de ce qui arrivait à leur compère, et concluait: «La principale leçon de cette affaire est que l'État russe, censé être le garant de la propriété privée, peut à tout moment la remettre en question, selon son bon gré». Même musique dans Le Monde du 3 juillet qui décrivait Ioukos comme «étranglé par le fisc». Le 9 juillet, ce journal revenait à la charge avec un éditorial, «Ioukos et le droit». Certes, y lisait-on, «cet oligarque (est) coupable, sans doute, de s'être enrichi indûment»; certes, «que Poutine veuille avoir un droit de regard sur la destinée du pétrole, première richesse du pays, (...) est logique et légitime, (...) mais procéder à une reprise en main ne peut passer (...) par la remise en cause des droits, à commencer par celui de propriété».

Dans le même numéro, un porte-parole du FMI (Fonds monétaire international) enfonçait le clou: «Jouer avec les droits de propriété en Russie, c'est jouer avec le feu, car la propriété privée est une notion récente».

Il y a plus d'un siècle et demi, se demandant «Qu'est-ce que la propriété?», Proudhon, répondait: «La propriété, c'est le vol». Les choses n'ont guère changé depuis.

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