L’Europe vraiment unie ne pourra être qu’une Europe débarrassée du capitalisme06/05/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/05/une1866.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Editorial

L’Europe vraiment unie ne pourra être qu’une Europe débarrassée du capitalisme

Pour les cérémonies officielles marquant l'entrée de dix nouveaux États membres au sein de l'Union européenne, la télévision nous a montré l'installation devant les bâtiments officiels de dix mâts supplémentaires, destinés à autant de drapeaux nationaux: tout un symbole de la manière dont les politiciens de la bourgeoisie veulent «construire» l'Europe... en gardant soigneusement les États nationaux hérités du XIXe siècle, quand ce n'est pas du moyen-âge. En effet, en dépit de tous les discours de circonstance sur l'amitié entre les peuples, la seule chose qui intéresse vraiment les hommes politiques et les groupes capitalistes dont ils défendent les intérêts, c'est la création d'un marché plus vaste pour placer leurs marchandises et leurs capitaux.

Quand en 1957 naquit le Marché commun, son nom de baptême avait au moins le mérite de la franchise. Celui de l'Union européenne est au contraire tout à fait hypocrite. Car cette prétendue «union» n'a pas supprimé les rivalités entre les différentes bourgeoisies européennes, chacune accrochée à son État national. Elle ne constitue qu'une autre façon de les gérer.

Il y a déjà bien longtemps que les frontières nationales sont devenues un obstacle au développement économique en Europe. Cela s'est traduit par deux guerres mondiales durant lesquelles les bourgeoisies française, anglaise et allemande, pour ne citer que les plus puissantes, ont fait massacrer des millions d'hommes pour se disputer zones d'influence, colonies et sources de matières premières. Mais le résultat de ces guerres, en plus des morts, des mutilés et des destructions, ce fut de réduire ces grands États européens au rang de puissances de second ordre par rapport au géant américain.

Les «pères fondateurs» de l'Europe, contrairement à toutes les sornettes entendues à l'occasion de ces cérémonies, n'étaient pas de généreux pacifistes. C'était des hommes politiques, représentant chacun les intérêts de leur bourgeoisie respective, dans une situation où l'unique possibilité pour les puissances européennes, en fonction du rapport des forces, était d'essayer de régler leurs divergences d'intérêts à l'amiable.

Cela n'excluait même pas le recours aux armes, car s'il n'y a pas eu de conflits militaires directs durant le dernier demi-siècle entre les États européens les plus puissants, bien des divergences d'intérêts entre les bourgeoisies française, anglaise et allemande, ont amené celles-ci à se combattre par peuples interposés, que ce soit en Afrique ou dans l'ex-Yougoslavie. Loin d'unifier l'Europe, les interventions des grandes puissances dans ce dernier pays ont d'ailleurs contribué à le faire éclater en cinq États différents.

En fait, l'essentiel de l'activité des institutions européennes consiste à définir des règles régissant la concurrence dans les différents domaines de l'activité économique, au terme d'âpres marchandages où chaque gouvernement s'emploie à défendre les intérêts de sa propre bourgeoisie.

Les hommes politiques qui nous demandent de voter pour eux le 13 juin, en se présentant comme les partisans d'une Europe travaillant à faire le bonheur des peuples, nous mentent. Mais les démagogues à la de Villiers ou à la Le Pen, qui rendent l'Europe responsable de tous les maux, nous mentent tout autant car ce n'est pas à Bruxelles ou à Strasbourg que se prennent les décisions de fermeture d'entreprises ou de vagues de licenciements, mais dans les conseils d'administration, y compris de sociétés cent pour cent françaises.

Une Europe unie, débarrassée de toutes les frontières, où tous les bras, tous les cerveaux travailleraient au bien commun, serait incontestablement une bonne chose. Mais cette Europe ne pourra pas exister tant que le pouvoir économique et politique sera dans chaque pays aux mains d'une minorité de privilégiés ne recherchant que leur seul profit personnel.

Mais les travailleurs eux, par-delà les frontières, ont des intérêts communs. L'important est d'en prendre conscience, et d'apprendre à lutter avec nos frères de classe de toute l'Europe pour défendre ces intérêts. Ce n'est qu'ainsi que pourra naître une Europe vraiment unie et fraternelle.

Arlette LAGUILLER

Editorial des bulletins d'entreprise du 3 mai 2004

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