Pénurie de médecins : La rançon du libéralisme22/04/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/04/une1864.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Pénurie de médecins : La rançon du libéralisme

Alors que, pour 100000 habitants, on compte dans la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur 421 médecins (210 généralistes et 211 spécialistes), ils ne sont que 257 en Picardie (156 généralistes et 101 spécialistes). Et, à l'échelle départementale, l'écart est encore plus important: 517 spécialistes pour 100000 habitants à Paris contre... 75 dans le département de la Mayenne. Eh oui, les médecins, au moins une grande partie d'entre eux, rechignent à s'installer dans les secteurs ruraux peu habités et les régions industrielles sinistrées. Ils préfèrent Paris ou la Côte-d'Azur, parce que c'est là que leur profession est la plus lucrative et c'est là aussi qu'ils vivent le mieux. Ce n'est pas nouveau. De tout temps, l'exercice de la médecine a été un moyen de très bien gagner sa vie et, jusqu'à un passé récent, les étudiants en médecine étaient surtout des fils de notables.

C'est à partir des années 1960 que les étudiants en médecine sont devenus plus nombreux et, dans les années 1970, le nombre de médecins a considérablement augmenté. C'est alors que fut instauré le «numerus clausus», c'est-à-dire un quota fixant, chaque année, le nombre d'étudiants admis à passer de première en deuxième année de médecine. Pour l'État, l'objectif était de limiter le nombre de médecins à venir afin -déjà- de limiter les dépenses de santé. À l'époque, les médecins ne s'en sont pas plaints. Dans leur ensemble, ils n'y voyaient qu'une chose: le «numerus clausus» allait s'opposer à la concurrence et donc à la diminution de leurs revenus. D'année en année, le «numerus clausus» a été resserré, au point d'aboutir à la situation actuelle: pénurie de médecins à l'hôpital et en ville et, dans certaines régions, des mois d'attente avant d'obtenir un rendez-vous pour une consultation. Et, même si le «numerus clausus» a été un peu relevé en 2002 puis en 2003, ses conséquences continuent et continueront encore à se faire sentir, car il faut dix ans pour former un médecin.

Pour remédier à la pénurie de médecins, la première mesure serait bien sûr de supprimer le «numerus clausus». Mais pas seulement. Pourquoi les jeunes médecins nouvellement diplômés ne devraient-ils pas s'installer dans les régions insuffisamment pourvues? Rien qu'à l'énoncé de cette interrogation, les partisans d'une médecine libérale intouchable -qui sont les mêmes que les défenseurs du libéralisme économique- s'insurgent, considérant que ce serait là une atteinte intolérable à la liberté d'exercice.

Certes la médecine n'est pas la seule profession libérale qui permet de s'installer là où on veut. On ne voit guère d'avocats d'affaires s'installer dans les banlieues sinistrées ou en rase campagne, et leur répartition sur le territoire ne doit pas être très différente de celle des médecins. Sauf que ces avocats sont bien moins utiles socialement que les médecins. En tout cas, ils ne sont pas utiles aux mêmes.

Lors de leur formation, les étudiants en médecine bénéficient largement de l'hôpital public, de ses infrastructures et des professeurs payés par l'État, bref de la prise en charge par la société. La moindre des choses serait qu'ils offrent à la collectivité une contrepartie, en consacrant, au moins pendant quelques années, leur temps et leurs connaissances à la collectivité, justement en s'installant par exemple comme médecin là où il en manque le plus.

C'est ce que l'on demande aux enseignants. À l'issue de leurs études, on sait leur imposer, du fait qu'ils ont bénéficié pour leur formation des infrastructures et des professeurs payés par l'État, des postes qu'ils n'ont pas le choix de refuser. Ils doivent accepter d'être nommés là où l'administration les envoie et pas là où ils ont envie d'aller. Mais bien sûr, l'Éducation nationale est un service public. Et la collectivité a tout à y gagner.

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