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Dans le monde
Irak : Les provocations de Bush servent de tremplin aux intégristes
Les deux premières semaines d'avril auront fait plus de victimes en Irak qu'aucune autre période comparable depuis la "fin des opérations militaires" qu'avait proclamée Bush il y a un an.
Comme toujours, la population irakienne a été la plus durement touchée, avec des victimes qui se comptent par centaines. Mais 80 soldats des forces d'occupation ont aussi payé de leur vie la politique de Bush. Sans compter des dizaines d'employés, occidentaux et irakiens, de l'administration d'occupation et des entreprises sous-traitantes, qui n'avaient pas non plus choisi cette guerre mais n'en n'ont pas moins trouvé la mort dans des embuscades, tandis que d'autres étaient victimes d'enlèvements.
Au-delà de la violence des affrontements armés au cours de ces deux semaines, le fait politique important est dans leur caractère. Sur plus de la moitié du territoire, la plupart des grandes villes ont été touchées par ce qui apparaît comme une vague insurrectionnelle que les troupes d'occupation se sont montrées incapables de contenir malgré leur écrasante supériorité en moyens matériels. Et rien n'indique pour l'instant qu'elles soient près d'y parvenir, malgré les renforts dépêchés sur les lieux et les nombreuses "trêves" annoncées et aussitôt rompues.
Des préoccupations électorales à la répression
Or non seulement les dirigeants impérialistes ont assemblé les ingrédients d'une poudrière par leur guerre, puis par leur mépris des besoins les plus élémentaires de la population pendant l'année d'occupation écoulée, mais c'est eux-mêmes qui y ont mis le feu en passant à l'offensive au début du mois, dans l'espoir d'en finir avec les principaux foyers de résistance à leurs plans.
Bush a en effet bâti sa campagne pour obtenir sa réélection à la présidence sur la passation des pouvoirs, le 30 juin, à un "gouvernement irakien" prétendument légitime. Ainsi comptait-il accréditer dans l'électorat l'illusion d'un désengagement militaire américain en Irak. Bien sûr, cela n'empêchait pas que continue, dans le même temps, la construction de 14 bases militaires américaines, suffisantes pour accueillir 120000 soldats dans le pays. Mais ne suffisait-il pas que l'illusion dure le temps d'une campagne électorale?
Pour que ce tour de passe-passe marche, il fallait que rien ne se mette en travers de la passation des pouvoirs le 30 juin. D'où, sans doute, le choix des autorités d'occupation de passer à l'offensive contre ceux qui risquaient de ne pas jouer le jeu, voire de profiter des circonstances pour jouer leurs propres cartes la résistance sunnite, basée notamment autour de la ville de Faludja, et le groupe intégriste chiite de Moqtada al-Sadr.
Mais comme l'ont montré les événements qui ont suivi, les autorités américaines avaient sous-estimé leurs adversaires. Surtout, elles avaient sous-estimé les réactions de la population face à cette offensive.
Une démonstration de force des intégristes
Si l'on en croit les témoignages d'habitants qui ont réussi à fuir Faludja au cours des combats, les cadavres de vieillards et d'enfants assassinés par les tirs des F-16 et des hélicoptères de combat américains auraient amené plus de recrues aux groupes armés nationalistes et sunnites de la ville que ne l'avait fait toute une année d'occupation. Et les mêmes causes produisant les mêmes effets, l'usage des mêmes méthodes par les troupes américaines dans les quartiers chiites de Bagdad aurait fait affluer les volontaires vers l'armée du Mahdi, la milice armée de Moqtada al-Sadr.
Mais c'est dans les villes du sud, où le groupe d'al-Sadr était encore assez peu connu, que la politique des autorités américaines s'est retournée contre elles de la façon la plus spectaculaire. En conférant aux miliciens de l'armée du Mahdi l'auréole de champions de l'Islam pour les uns, de la nation irakienne pour les autres, face aux troupes d'occupation, les dirigeants américains ont offert à Moqtada al-Sadr une occasion inespérée. Ce qui n'était bien souvent au départ qu'une occupation symbolique de quelques édifices publics par une poignée de miliciens s'est transformé rapidement, grâce à l'assentiment d'une partie de la population et à l'aide active d'une fraction de la jeunesse, en démonstration de force suffisamment convaincante pour amener la police irakienne à reculer, voire à choisir le camp des insurgés. C'est ce que l'on a vu à Kut, par exemple, ville de l'est du pays, où la garnison ukrainienne a dû se résoudre à abandonner la ville avant qu'un contingent américain ne parvienne à en reprendre partiellement le contrôle.
Il nous est impossible de savoir quelle est la profondeur réelle de ce mouvement insurrectionnel, et notamment dans quelle mesure les masses irakiennes se reconnaissent dans la démagogie antiaméricaine et xénophobe d'un al-Sadr ni si elles sont prêtes à se ranger derrière ses miliciens. Malheureusement, dans ce cas, ce ne serait que pour lui servir de tremplin sur le chemin du pouvoir, car c'est le seul rôle que de tels leaders sont disposés à leur laisser jouer. Et les leaders sunnites du nord, religieux ou pas, n'ont pas plus d'égards pour les intérêts des masses pauvres que les dirigeants chiites.
En tout cas, une fois encore, après la guerre et le chaos politique qu'elle a créé dans le pays, la répression que mènent aujourd'hui les autorités américaines et leurs alliés ne peut qu'aggraver encore le potentiel explosif de la poudrière irakienne. Les autorités américaines parviendront peut-être à endiguer la présente vague insurrectionnelle, mais même dans ce cas, ce ne sera que partie remise. Et en tout cas, elles n'auront réussi qu'à aider les dirigeants intégristes à s'imposer aux yeux des masses irakiennes comme la seule alternative à l'oppression impérialiste. Pour l'impérialisme, cela passera sans doute au compte des pertes et profits, en attendant des jours plus favorables, mais les masses irakiennes, elles, le paieront à coup sûr très cher.