Fonctionnaires : Salaire "au mérite" ou à la tête du client?18/03/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/03/une1859.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Fonctionnaires : Salaire "au mérite" ou à la tête du client?

Le ministre de l'Économie, Francis Mer, vient d'adresser une circulaire aux 180000 agents de son ministère, les informant qu'en 2005, leur rémunération et leur avancement se feront au mérite. Dans les prochains mois, chaque employé aura un entretien individuel "d'évaluation" avec sa hiérarchie, qui lui dira quels objectifs il doit remplir et lui donnera une note. En fonction de cela, dès 2005, il pourra avoir "un avancement de carrière accéléré, le régime normal ou un avancement retardé".

Ce système de note et d'avancement à trois vitesses, qui conditionne les hausses de salaire, existe déjà dans la fonction publique, notamment chez les enseignants. Mais si une bonne note peut accélérer le passage à un échelon supérieur, une mauvaise ne le retarde jamais.

Dans quel but Mer veut-il introduire le salaire au mérite pour les agents du Trésor, des Impôts, des Douanes, etc.? L'ex-patron d'Usinor le dit crûment: "Il faut faire de la productivité". Seulement si l'on voit bien ce que cela signifie dans une entreprise, produire plus avec le même personnel, on imagine mal comment cette logique peut s'appliquer à une administration.

À partir de combien de contrôles ou redressements fiscaux effectués un fonctionnaire sera-t-il jugé "productif"? Actuellement, vu le manque de personnel, les 3,3 millions d'entreprises recensées en France sont contrôlées en moyenne une fois tous les 66 ans; les professions libérales d'Ile-de-France, elles, le sont une fois tous les trois siècles et demi, relève le principal syndicat des Finances, le SNUI. Faudra-t-il dorénavant que les agents expédient les gens venus demander un renseignement? Et la standardiste, faudra-t-il qu'elle parle à toute vitesse dans son téléphone ou réponde à trois personnes en même temps pour être compétitive et passer à l'échelon supérieur?

Au ministère de la Justice, Perben, estimant en toute grossièreté qu'un nombre trop élevé de magistrats "ne branlaient rien", a lui aussi établi une prime au rendement pour inciter les juges à être plus rentables, ce qui revient à leur demander de bâcler les dossiers pour en traiter un maximum en un temps record. De même, les policiers sont jugés sur leur "performance", et un palmarès de l'efficacité policière vient d'être publié (à noter en passant qu'à Neuilly-sur-Seine, la ville dont le ministre de l'Intérieur Sarkozy est maire, le taux d'élucidation des crimes et délits est de 2,4 points inférieur à celui de la moyenne nationale). Pour figurer en bonne place sur ce tableau, il sera alors plus rentable, et plus simple, d'arrêter une douzaine de travailleurs sans-papiers que de retrouver un escroc. Et puis, faudra-t-il en même temps que les profs aient bouclé leur programme de l'année dès le second trimestre et que leurs élèves réussissent leurs examens à 100%?

Quand le mot productivité est l'objectif mis en avant, par des ministres dans la Fonction publique ou des patrons dans le privé, c'est toujours pour annoncer une baisse d'effectifs, et un surcroît de travail pour les autres. De plus, Mer annonce son intention de rogner sur les salaires, en faisant progresser plus lentement un certain pourcentage de travailleurs en fonction du jugement que les chefs porteront sur eux.

La notion de "salaire au mérite" séduira certes un électorat réactionnaire aux préjugés bien ancrés sur la prétendue fainéantise des fonctionnaires. Mais pour les salariés des administrations comme pour le public, cela annonce une dégradation de plus du service rendu.

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