Russie : Un drame «ordinaire»19/02/20042004Journal/medias/journalnumero/images/2004/02/une1855.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Russie : Un drame «ordinaire»

La catastrophe du parc aquatique Transvaal de Moscou aurait fait une trentaine de morts et bien plus de blessés. Ce bilan n'est sans doute pas définitif car des tonnes de verre et de poutrelles y ont enseveli un nombre inconnu de baigneurs auxquels on avait vanté l'exotisme des tropiques (de pacotille) au coeur de l'hiver russe.

Comment auraient-ils pu imaginer que cette construction, flambant neuve, allait céder sous le poids de... la neige! Cela paraît incroyable dans ce pays où l'hiver dure six bons mois et où tenir compte d'un enneigement abondant, ce qui s'apprend dès le plus jeune âge, devrait relever du b.a.- ba du métier d'architecte et de promoteur.

Les autorités ont commencé par affirmer qu'un tel accident était exceptionnel. C'est un fait, et c'est heureux, que les immeubles publics ou d'habitation moins récents que l'on voit dans les villes russes, même s'ils présentent bien des défauts, ne connaissent pas celui-là.

Seulement voilà, le bâtiment est devenu, comme bien d'autres choses en Russie, affaire de margoulins cherchant à faire le plus d'argent possible, au plus vite et à tout prix. Y compris au prix de la peau d'autrui.

Devant l'ampleur de cette catastrophe sinistrement spectaculaire en plein Moscou, les autorités ont dû se décider à suspendre la licence de l'entreprise qui avait édifié le Transvaal Park et celles des deux architectes auteurs du projet. Dans la foulée, la presse a distillé des informations sur les économies faites par le constructeur, une société non pas russe mais turque qui avait emporté le contrat en tirant les coûts au maximum. La référence n'est pas rassurante, quelques jours après qu'à Konya, en Turquie, un immeuble de onze étages s'est écrasé comme une crêpe sur ses habitants, là aussi parce que le constructeur a économisé sur les matériaux.

Cela n'a pas empêché le premier propriétaire du Transvaal Park de Moscou, non inculpé mais qui ne pouvait pas ignorer la situation réelle, de revendre presque aussitôt ce parc, en empochant ses bénéfices.

Les autorités ont beau dire, cette affaire pourrait n'être exceptionnelle que tant que d'autres du même genre n'ont pas (encore) éclaté. La construction, surtout dans les grandes villes, obéit en effet de plus en plus aux mêmes règles. Partout, sur les chantiers, grands comme petits, on trouve des travailleurs au noir, des «immigrés» d'anciennes Républiques de l'Union soviétique, exploités de façon effroyable, qui sont généralement «logés» dans le bâtiment même qu'ils construisent, même en hiver, et qui évitent d'en sortir de peur d'être pris dans une rafle de police, celle-ci rackettant sans pitié les clandestins. Quant aux architectes et aux autorités délivrant les permis de construire, bien souvent ils se contentent d'apposer leur cachet sur n'importe quel projet qu'on leur présente, en échange d'un pot-de-vin proportionnel à la valeur estimée de la construction.

Autant dire qu'un tel système ne fonctionne qu'avec la complicité rémunérée des autorités, à tous les niveaux: police, sécurité civile, mairies, ministère du Logement, services de l'urbanisme, de la voirie, etc. Cette fois-ci, il a bien fallu trouver quelques coupables. Mais vu le nombre et la taille des complicités dont ils ont forcément disposé, il serait illusoire d'attendre que l'enquête promise par le maire de Moscou débouche. Et d'ici au prochain drame, les autorités peuvent se dire que la population aura oublié cette affaire: il y en a tellement, et dans tant de domaines, comme celui des médicaments dont la presse a annoncé, en janvier, que 80% de ceux vendus en Russie sont contrefaits...

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