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Afghanistan : Constitution ou pas, la guerre continue
Le 4 janvier, deux ans après avoir été porté au pouvoir à Kaboul par les troupes américaines, le président Hamid Karzai a finalement réussi à imposer la constitution que souhaitaient ses sponsors de Washington. Elle devrait lui permettre de conserver sa place pratiquement sans partage, tout au moins dans la région entourant la capitale et tant que les forces de l'OTAN restent là pour le protéger.
Les ingrédients d'une poudrière ethnique
En effet, cette constitution permet au président, élu au suffrage direct, de gouverner avec deux vice-présidents de son choix sans pratiquement avoir de comptes à rendre aux deux institutions parlementaires dont la création est prévue par ailleurs. Or cela revient à donner à la minorité ethnique la plus importante du pays, les Pachtounes, un monopole du pouvoir politique, tandis que les autres ethnies, moins nombreuses, devront se contenter d'un rôle secondaire, à la tête des institutions des provinces où elles sont majoritaires.
Ainsi, pour permettre à Karzai, qui s'est toujours posé en porte-parole des Pachtounes au sein du régime de Kaboul, de conserver les rênes du pouvoir central, cette constitution risque d'alimenter l'irrédentisme ethnique sur lequel s'appuient déjà un certain nombre de seigneurs de la guerre pour asseoir leur pouvoir dans leurs fiefs respectifs.
Mais il est vrai que l'impérialisme américain, le maître du jeu en Afghanistan, est coutumier de ces jeux dangereux qui sont catastrophiques pour les populations. Après tout, c'est bien lui qui a peuplé le paysage afghan de chefs de guerre intégristes, dans le cadre de ses manoeuvres de grande puissance contre l'URSS. Et aujourd'hui, il continue à mener la même politique dans sa guerre, toujours en cours, contre les talibans et autres forces intégristes qui ont pris les armes contre le régime de Karzai, comme l'ancien Premier ministre Gubbuldin Hekmatyar.
En effet, pour ne pas avoir à trop s'investir militairement sur le terrain, les États-Unis continuent à financer et armer des chefs de guerre prêts à collaborer avec eux, quitte à tolérer leur refus de se soumettre à l'autorité de Kaboul, comme c'est le cas pour Ismael Khan, qui règne en dictateur absolu sur la province d'Herat près de la frontière iranienne.
En même temps, dans les bastions pachtounes et baloutches du nord-est et du sud du pays, où les États-Unis manquent d'appuis locaux, 10000 soldats américains restent présents en plus des forces de l'OTAN stationnées à Kaboul et continuent à mener des opérations de bombardements contre la population (quinze enfants ont été victimes de la dernière en date, dite opération "Avalanche"). Or cela ne peut que pousser ceux qui les subissent dans les bras des guérillas intégristes, qui semblent de plus en plus gagner du terrain à en juger par la fréquence croissante des attentats dans des grandes villes comme Kandahar et Kaboul.
Une fois de plus, l'impérialisme et ses alliés locaux sont en train d'attiser le feu sur une poudrière ethnique.
L'oppression érigée en institution
Quant à parler de processus "démocratique" à propos de l'adoption de cette constitution, comme l'ont fait avec un bel ensemble tous les gouvernements occidentaux, cela relève d'un cynisme consommé.
D'abord parce que l'assemblée "traditionnelle", ou "loya jirga", de 502 délégués qui a adopté cette constitution n'avait elle-même rien de démocratique. Lorsqu'une jeune déléguée de la province occidentale de Farah, Malalai Joya, s'est écriée, désignant du doigt les hommes qui présidaient les débats, "ce sont ces hommes qui ont détruit notre pays, ils devraient être jugés", elle a été escortée manu militari hors de la tente où se tenait l'assemblée. Car les assemblées provinciales représentent largement les intérêts des chefs de guerre locaux, quand elles ne sont pas nommées par eux. Or ce sont ces assemblées qui ont désigné la plupart des délégués, en dehors d'une cinquantaine nommés... par Karzai lui-même.
Ensuite, tous les Occidentaux qui osent parler d'un processus "démocratique" en Afghanistan oublient de mentionner que cette constitution est celle d'une république islamique et prévoit explicitement qu'"aucune loi ne peut être contraire aux croyances et dispositions de la religion sacrée de l'Islam". Elle n'inclut pas la Charia en tant que telle, mais elle exclut toute législation qui s'y opposerait- et il faut être jésuite, ou intégriste, pour nier qu'à terme cela risque de revenir au même.
D'ailleurs, qu'est-ce qui empêchera un jour que l'article de cette constitution qui garantit l'égalité de l'homme et de la femme devant la loi soit déclaré "contraire aux croyances et dispositions de la religion sacrée de l'Islam"? Déjà, le régime de Karzai a créé vers la fin de l'été 2002 un "département des instructions islamiques", qui rappelle la police religieuse des talibans. Ses employés ont à charge, entre autres, de rappeler aux passantes dans la rue les règles de la "modestie" lorsque leur habillement ne leur convient pas. Certains ont baptisé les officiels de cet organisme: les "talibans au visage souriant". Mais, outre que ces pressions étatiques sont déjà à l'opposé de la "démocratie", qu'est-ce qui empêchera les intégristes, qui constituent toujours le gros des hommes forts du régime, de se servir de cette constitution islamique pour effacer le sourire des "talibans au visage souriant"?
En fait de "progrès" et de "démocratie", le soutien apporté par les puissances impérialistes à cette constitution reflète avant tout leur volonté de maintenir la population afghane dans l'oppression -celle des seigneurs de la guerre islamistes et, par leur intermédiaire, celle de l'impérialisme.