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Référendum en Martinique et en Guadeloupe : Un «non» qui traduit la méfiance!
C'est le «non» qui l'a emporté au référendum organisé en Martinique et en Guadeloupe. Il est massif en Guadeloupe: 72,9%, et un peu plus serré en Martinique avec 50,4%. L'abstention serait d'environ 50%.
Bien sûr, ont voté «non» un certain nombre de conservateurs de droite ayant, exacerbée chez certains, la peur de l'autonomie ou de l'indépendance, certains émules de l'extrême droite, certains milieux petits-bourgeois voire bourgeois, effrayés de l'alliance de la droite et de la gauche classique avec indépendantistes et partis communistes. Mais ont voté «non» bien des travailleurs conscients, bien des membres de la population laborieuse qui ont voulu signifier leur méfiance à l'égard d'une série de notables locaux et du gouvernement, partisans du «oui» mais qui s'en prennent quotidiennement aux intérêts des travailleurs ou brillent par leur passivité sur ce terrain-là.
Le projet d'assemblée unique
Il s'agissait dimanche 7décembre de demander à la population des deux îles francophones de la Caraïbe si elle souhaitait remplacer, dans chaque île, les Conseils général et régional par une assemblée unique régie par l'article 73 de la Constitution. Cet article prévoit, dans le cas de «collectivités à statut particulier» (ce que seraient devenues donc les deux îles dans le cas où le «oui» l'aurait emporté), les mêmes lois que celles votées par le Parlement français. C'est celui dit de «l'identité législative», contrairement à l'article 74 qui, lui, prévoit la possibilité de voter d'autres lois que celles du Parlement français et qui est celui de la «spécialité législative».
Dans la mesure où, tant en Martinique qu'en Guadeloupe, département et région recouvrent le même territoire, le gouvernement français et une bonne partie des élus de gauche et de droite, partisans du «oui», ont expliqué pendant des mois à la population qu'une assemblée au lieu de deux sur le même territoire aurait facilité les choses pour tout le monde. On allait vers une simplification administrative, etc.
Mais bien entendu ce n'est pas cela que la population a rejeté. Et du reste s'il ne s'agissait que du remplacement de deux assemblées par une seule, les auteurs et fervents partisans de ce changement auraient à la limite pu le faire sans référendum. Ce ne sont pas non plus les dispositions, même timides, qui prévoyaient l'octroi d'un petit peu plus de pouvoir local, que la population a rejetées en soi. En revanche, elle a rejeté, d'une part, l'octroi de plus de pouvoir, en bloc, à une caste d'élus dont elle se méfie et, d'autre part, elle a refusé de plébisciter la politique de Chirac-Raffarin et Girardin (ministre de l'Outre-mer).
Ces derniers avaient en effet tout fait pour présenter ce référendum comme un plébiscite en supprimant toutes les possibilités de choix autres que celle d'ériger une collectivité nouvelle selon les règles de l'article 73.
Élus locaux et gouvernement ont concocté ce projet entre eux, par dessus la tête de la population et en fonction de leurs intérêts propres. Ils voulaient que les seuls élus aient les mains un peu plus libres pour diriger localement, mais pourquoi et pour qui? Tout simplement pour appliquer outre-mer la décentralisation voulue par Chirac et Raffarin. C'est-à-dire en fait faire des économies sur le dos de la population: par exemple, revenir peu à peu sur la prime de vie chère accordée aux fonctionnaires et, en partie, à un certain nombre de salariés de la fonction publique en général, ou encore donner à l'assemblée unique la possibilité de lever de nouvelles taxes et impôts sur la population, de rechercher tous ceux qui échappent à l'impôt. Et dans le même temps, la loi-programme pour l'Outre-mer, votée pour 15 ans et déjà en vigueur, accorde toutes sortes d'exonérations fiscales et sociales aux entreprises, même les plus grosses, pour leur permettre de réaliser de bons profits. Quant aux élus, un nombre non négligeable d'entre eux sont ou ont été inquiétés par la justice pour de sombres affaires de détournement de fonds, dont la présidente de la région, ex-ministre de Chirac, sénateur, Lucette Michaux-Chevry. Ces «affaires» récurrentes augmentent d'année en année la méfiance de la population envers l'ensemble des élus.
Une gifle, pas seulement pour le gouvernement
On pourrait ainsi multiplier les exemples qui ont joué dans la victoire du «non» alors que l'essentiel des appareils politiques et presque tous les maires s'étaient prononcés pour le «oui».
Mais si ce résultat, comme le dit la presse officielle, est une gifle pour le gouvernement Raffarin, pour Lucette Michaux-Chevry, elle l'est aussi pour les deux partis communistes de Guadeloupe et de Martinique et pour les indépendantistes des deux îles. Car c'est une véritable union sacrée qui s'était constituée depuis des mois pour faire campagne en faveur du «oui».
Il fallait «plus de pouvoir» nous disaient communistes et indépendantistes pour «déverrouiller le statut départemental» et ouvrir une petite brèche pour une future autonomie ou indépendance et un «développement économique de la Guadeloupe ou de la Martinique»... par on ne sait quel miracle. Mais eux aussi ont joué le jeu des notables de la droite et de la gauche traditionnelles. Ce n'est évidemment pas étonnant pour les notables indépendantistes. Pour les directions des partis communistes, ça ne l'est pas non plus, mais les conséquences de leur politique sur le moral d'une fraction de travailleurs qu'ils influencent pourraient se faire sentir plus durement. Car les PC guadeloupéen et martiniquais ont aussi subi un échec sérieux qui pourrait démoraliser un certain nombre de travailleurs qu'ils ont mobilisés depuis des mois, sinon des années, sur le seul thème du changement de statut. Et cela en négligeant les luttes dans les entreprises.
Or c'est précisément dans ces luttes, qui sont nombreuses et parfois dures, que réside l'espoir de changer les choses pour les travailleurs et la population laborieuse. D'autant que le triomphe du «non» n'empêchera pas le gouvernement de poursuivre sa politique de décentralisation selon le droit commun aux Antilles comme en France, avec par exemple le démantèlement du service public, des mesures antiouvrières, toutes sortes d'économies sur le dos de la population.
Alors, de toutes façons, les attaques contre les travailleurs vont se poursuivre. Elles sont même programmées en partie. Et si ce désaveu infligé à la politique du gouvernement et aux notables locaux par une bonne fraction des travailleurs et de la population laborieuse pouvait se transformer en luttes dans les entreprises, en colère dans les rues, contre le chômage endémique, la misère et l'exploitation capitaliste, eh bien ce «non» ou un certain nombre d'abstentions et de bulletins blancs auront peut-être été plus qu'un simple vote, mais aussi une petite préparation morale.