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Éducation : Un «grand débat» mais pas de moyens
Le ministre de l'Éducation nationale, Luc Ferry, a lancé le 17 novembre le «grand débat» sur «l'avenir de l'école» en vue d'une nouvelle loi d'orientation. Pour essayer de souligner l'importance de l'entreprise et en définir les enjeux, Chirac en personne devait réunir le 20 novembre les principaux responsables du système éducatif français.
Le débat sera grand, du moins par le nombre de réunions. Mais il risque de se réduire à peu de chose. 15000 réunions publiques sont prévues sur l'ensemble du territoire, les discussions porteront sur 22 questions extrêmement ouvertes, dont les animateurs doivent tirer 15000 rapports de huit pages chacun. Mais il y a peu de chances que la variété des opinions transparaisse, une fois que cette montagne de papier aura été «synthétisée» par une commission nationale de 54 membres.
D'autant que cette «commission nationale du débat sur l'avenir de l'école», comme toutes les commissions gouvernementales, est riche en «personnalités» diverses, mais comprend bien peu de gens directement impliqués dans l'école. On y trouve ainsi sept anciens ministres de l'Education nationale et six parlementaires, des représentants de la presse (Le Monde, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, le PDG de Radio France), des universitaires, historiens, sociologues, philosophes, des proviseurs, principaux, directeurs d'école, inspecteurs, quelques patrons (le président de Lafarge, la vice-présidente de Dassault Systèmes, le président de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment), mais seulement un lycéen, une étudiante, un instituteur, deux professeurs, un maître-ouvrier. Et encore faudrait-il savoir comment ces représentants des centaines de milliers de lycéens, étudiants, enseignants et personnels ATOS ont été choisis, et pourquoi.
Quant aux 22 questions qui doivent servir de base aux débats qui sont censés être très larges et publics, elles permettent certainement toutes les discussions, sur les sujets les plus divers. Cependant, à bon nombre d'entre elles, les enseignants avaient apporté en mai et juin derniers des réponses que le gouvernement n'a pas voulu entendre. «Comment prendre en charge les élèves en grande difficulté?» demande-t-il. Mais les enseignants et les parents n'ont cessé de réclamer plus de moyens en personnels pour travailler avec des classes à petits effectifs et ainsi aider les élèves les plus en difficulté. «Comment en matière d'éducation définir et répartir les rôles et les responsabilités respectifs de l'État et des collectivités territoriales?» lit-on plus loin dans le questionnaire. Mais durant des semaines, les manifestants ont pourtant scandé des slogans opposés à la décentralisation, parce que, telle qu'elle est conçue par le gouvernement, elle ne peut qu'aggraver les disparités entre les régions.
Le gouvernement aura du mal à faire oublier que, lors des derniers mois de grève et de manifestations, il n'était alors question pour lui ni de discuter ni de céder aux revendications des salariés, agents, ouvriers, secrétaires, conseillers d'orientation, infirmières, surveillants et bien sûr instituteurs et professeurs. Les grévistes ne se contentaient pas du baratin «pédagogique» du ministère: ils voulaient des moyens, des salaires, du personnel, des embauches.
L'actuel «grand débat» lancé par Ferry n'est qu'une nouvelle façon de tromper le monde, en faisant croire qu'on va s'attaquer aux problèmes, bien réels, de l'éducation.
Cela est confirmé par les déclarations au Monde de Claude Thélot, le président de la commission nationale. Après avoir dit que, la commission étant indépendante, le gouvernement «n'est pas lié en droit par ses travaux», il précise: «Mais si le débat reflète correctement ce que les Français pensent, le gouvernement en tiendra évidemment compte.» Qui dira «ce que les Français pensent»? Pas le débat, mais le ministre ou ses conseillers. Autrement dit, si le débat renvoie au ministre ce que le ministre pense, le ministre tiendra compte du débat. Il n'est pas certain que les enseignants, les parents d'élèves et la population apprécient ce genre de «dialogue» plus qu'au printemps dernier.