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- Lutte ouvrière n°1838
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Editorial
Gouverner, c'est prévoir... disent-ils
Les buralistes sont partis en guerre contre la politique du gouvernement qui multiplie les hausses successives du prix des cigarettes. Celles-ci touchent en particulier les bureaux de tabac des régions frontalières, dont la clientèle a la possibilité de s'approvisionner à meilleur coût de l'autre côté de la frontière. Et bien que le tabagisme constitue un réel problème de santé et cause chaque année des dizaines de milliers de morts, on peut comprendre leurs réactions face à des décisions qui ont manifestement été prises sans se soucier, avant qu'ils ne protestent, des conséquences que cela pourrait entraîner sur leur niveau de vie, ni d'une possible reconversion.
Mais il n'y a pas que les buralistes qui sont victimes de décisions prises sans se soucier de leurs conséquences humaines. Depuis des années, les plans de suppressions d'emplois succèdent aux plans dits "sociaux", des centaines de milliers de travailleurs ont été réduits au chômage, voire à la misère, sans même que les responsables puissent invoquer l'excuse d'agir dans l'intérêt de la santé publique. Ils ont pris ces décisions pour des raisons ouvertement égoïstes, pour que les entreprises dont ils sont les dirigeants ou les gros actionnaires puissent faire encore plus de profits. Et ils l'ont fait avec la bénédiction des gouvernants du moment, de gauche comme de droite.
Parmi les buralistes en colère, ou les commentateurs qui s'apitoient aujourd'hui sur leur sort, combien, d'ailleurs, se sont sentis solidaires de ces travailleurs?
C'est vrai que manifestement personne, dans les sphères gouvernementales, ne s'est soucié à l'avance des conséquences qu'auraient pour les buralistes, ou les producteurs de tabac, les mesures visant à réduire la consommation de celui-ci. C'est d'autant plus cynique que l'État a été pendant des décennies, à travers la distribution de cigarettes à bon marché aux jeunes qui faisaient leur service militaire, un des plus efficaces propagateurs du tabagisme, dont il tirait ensuite, sous forme de taxes, des profits non négligeables.
Mais c'est le contraire qui aurait été étonnant. Car si nous vivons dans un système économique, le système capitaliste, dont les patrons, les hommes politiques à leur service, les journalistes appointés pour en chanter les louanges, proclament qu'il est le meilleur possible, c'est aussi un système incapable d'anticiper les problèmes humains à venir, parce que sa seule préoccupation est la course au profit.
Il y a des reconversions industrielles rendues nécessaires par l'évolution des techniques. Les gros actionnaires y trouvent toujours leur compte, avec l'aide de l'État au besoin, qui n'hésite jamais à mettre la main à la poche pour sauver leur capital. Mais les travailleurs, eux, en font toujours les frais.
Il y a aussi ces suppressions d'emplois, ces fermetures d'entreprises, résultant de la volonté des patrons de faire produire autant, voire plus, par moins de salariés, pour augmenter encore leurs profits, sans se soucier du sort des travailleurs qu'on jette comme des kleenex usagés. Et face à cela, les gouvernants disent qu'ils n'y peuvent rien, ce qui est finalement une manière de reconnaître que dans cette société les vrais décideurs, ceux qui dictent leur loi, sont les détenteurs de capitaux, bien plus que les ministres.
La science et la technique moderne pourraient permettre depuis longtemps à chacun de profiter des fruits du progrès. Mais cela ne pourra se faire que dans une économie qui se donnera pour but la satisfaction des besoins de tous, et non pas l'enrichissement d'une petite minorité. C'est ce qu'avait compris le mouvement ouvrier à ses débuts, quand il avait inscrit dans son programme la socialisation de tous les grands moyens de production. C'est ce qu'ont oublié depuis longtemps le Parti Socialiste et le Parti Communiste, dont la seule ambition est aujourd'hui de participer au gouvernement à la gestion des affaires des possédants. Mais c'est pourtant un programme qui reste d'actualité, parce que le capitalisme est toujours aussi incapable qu'au XIXe siècle d'assurer la participation de tous aux fruits du progrès.