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Leur société
Des "innovations" qui rapportent
Pour justifier la baisse du taux de remboursement de 617 spécialités pharmaceutiques intervenue en avril, le déremboursement total de 84 médicaments décidé ce mois-ci, et de centaines d'autres programmé pour un proche avenir, le ministère de la Santé met en avant la nécessité de donner la préférence aux médicaments "innovants". Rompant avec la pratique instaurée de longue date qui faisait dépendre le prix d'un médicament remboursé d'un accord entre le laboratoire concerné et l'administration, il a même accordé aux fabricants la liberté de fixer eux-mêmes le prix de vente desdits produits "innovants". Officiellement, il s'agirait donc d'aider à la recherche, en contrepartie de ces restrictions sur le remboursement de médicaments anciens, des molécules plus efficaces. Mais ce qui régit l'industrie pharmaceutique (comme toutes les industries dans ce système économique), c'est la course au profit. Et la mise en avant de "l'innovation" risque de relever plus souvent du marketing que de la recherche d'un réel progrès thérapeutique.
En 2000, par exemple, est apparue une nouvelle famille d'anti-inflammatoires, que toute une campagne relayée par la grande presse a présentée comme absolument révolutionnaire, plus efficace et avec moins d'effets secondaires. Depuis, avec le recul, la plupart des observateurs indépendants pensent que l'efficacité de ces produits n'est pas meilleure que celle de molécules plus anciennes, et que s'ils sont peut-être un peu mieux tolérés sur le plan gastrique, ils pourraient augmenter le risque d'accidents cardio-vasculaires. Mais il n'empêche qu'avec ces médicaments "innovants", le coût du traitement journalier a doublé (avec l'accord du ministère de la Santé, qui n'avait pas encore institué la liberté des prix en la matière).
Il faut d'autre part plusieurs années pour passer des premiers essais sur l'homme à la mise sur le marché d'un nouveau médicament, afin de s'assurer non seulement de l'efficacité réelle du produit, mais aussi du fait que les bénéfices thérapeutiques compensent largement les éventuels effets secondaires à court et à long terme. Dans le cas de maladies à l'issue généralement fatale, et où l'on manque de médicaments permettant d'envisager la guérison, ces précautions peuvent sembler aller à l'encontre des intérêts des malades. Ce fut en particulier le cas pour le sida, où quand apparurent les premières molécules susceptibles de freiner la multiplication du virus, les associations concernées firent campagne - et on le comprend- pour qu'elles soient mises le plus vite possible à la disposition des malades.
Mais qu'y a-t-il de plus "innovant" qu'un produit dont on n'a pas encore testé entièrement l'efficacité thérapeutique comme les effets indésirables ? Et comme le sida représente dans les pays industrialisés un marché important, on risque fort de voir se multiplier dans les prochaines années des produits à l'efficacité et aux effets indésirables et incertains, vendus de surcroît d'autant plus cher que le gouvernement a ouvert la porte à la libre fixation des prix par les laboratoires.
Ce n'est pas, en tout cas, la manière dont se conduisent les trusts de l'industrie pharmaceutique dans les pays du Tiers-Monde, où des millions d'hommes, de femmes et d'enfants sont privés de toute possibilité de se soigner, pour cause d'insolvabilité, qui peut rassurer à ce sujet.
Les multinationales de l'industrie pharmaceutique ne raisonnent pas autrement que les industriels opérant dans d'autres secteurs. Le profit d'abord. Et les ministres de la Santé, fussent-ils médecins, ne se comportent pas autrement que les autres ministres, en se donnant comme premier objectif de servir la classe des capitalistes.