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Argentine : Le nouveau président intronisé...pour mener la même politique antiouvrière
Carlos Menem, qui fut président de la République argentine pendant dix ans (1989-1999), a finalement choisi de ne pas attendre le verdict des urnes, dont tout indiquait qu'il lui serait très défavorable, pour renoncer à participer au deuxième tour de l'élection présidentielle le 18 mai dernier. Ce retrait a automatiquement assuré la victoire de l'autre candidat péroniste, Nestor Kirchner, qui a été intronisé président dimanche 25 mai. Que Castro et Lula aient assisté à la cérémonie ne doit tromper personne: Kirchner devrait marcher dans les traces de son prédécesseur Duhalde, dont la présidence intérimaire n'a pas été spécialement favorable aux classes populaires. Survivre reste très difficile et sa police a montré à plusieurs reprises qu'elle reste là d'abord pour réprimer ceux qui luttent pour une vie meilleure.
Menem déconsidéré
Lors du premier tour, Menem avait obtenu 24%, et Kirchner 22%, mais tous les sondages annonçaient une victoire de Kirchner sur Menem, avec 30 points d'avance. De très nombreux électeurs s'apprêtaient à voter contre Menem, qui incarnait pour la majorité la politique qui a conduit l'économie argentine dans l'abîme, en démantelant l'industrie nationalisée et tous les services publics. Menem, mêlé à de multiples affaires (scandales, trafics d'armes, morts mystérieuses), personnifiait aussi la corruption. Enfin, parmi les ouvriers encore attachés aux illusions péronistes, Menem, qui avait ouvertement mené une politique au service du grand patronat argentin et étranger, était considéré comme celui qui avait trahi leurs espoirs.
Ce retrait vole à Kirchner la part de légitimité que les urnes auraient pu lui donner. Kirchner en est réduit, dans ses discours, à traiter Menem de "lâche". Ce n'est en tout cas pas cette "victoire" qui renforcera un système politique déjà passablement délabré et qui a vu, en décembre 2001, deux présidents chassés par la rue. Kirchner va devoir chercher maintenant du côté des parlementaires le consensus que les urnes ne lui ont pas donné. Le fait même que son propre parti, le parti péroniste, a été incapable de s'entendre pour présenter un seul candidat (il en a présenté trois!) indique déjà que les luttes de clans y font rage et qu'il n'est pas sûr de sa majorité.
C'est le président provisoire péroniste, Eduardo Duhalde, qui a parrainé la candidature de Kirchner. Celui-ci, même s'il s'en défend, devrait dans une certaine mesure marcher dans les traces de Duhalde. Il conserve d'ailleurs le même ministre des Finances, Roberto Lavagna, un homme qui pour le moment a la confiance des institutions financières internationales, et qui doit rencontrer les représentants du Fonds Monétaire International dans quelques jours, pour plaider la cause d'une Argentine qui reste particulièrement endettée (144 milliards de dollars de dette extérieure) et dont le secteur bancaire est toujours en ruine.
De toute façon, la population argentine aurait tort de se faire des illusions sur le nouveau venu. En tant que gouverneur de la province de Santa Cruz, Kirchner a déjà montré bien des traits qui l'apparentent à un... Menem. Comme celui-ci l'avait fait pour se faire réélire une seconde fois à la présidence, Kirchner a aussi modifié la constitution de sa province pour conserver son poste de gouverneur.
Kirchner et son "trésor"
Kirchner se vante du faible taux de chômage de sa province (3%) et du faible taux de malnutrition infantile. Mais, comme c'est une tradition dans les partis politiques argentins, et particulièrement chez les péronistes, c'est le résultat d'une politique clientéliste d'autant plus facile à mener dans cette province qu'elle est à la fois très riche (notamment en pétrole et en gaz) et peu peuplée (200000 habitants sur une superficie qui fait la moitié de la France). C'est pourquoi 40% des salariés sont des employés du secteur public et sa province est l'une des rares qui ne soit pas endettée.
Les Kirchner forment un clan familial. Son épouse, Cristina, est sénatrice et sa soeur, Alicia, est ministre des Affaires sociales de Santa Cruz. Pour conforter son pouvoir local, Kirchner avait aussi augmenté le nombre des juges de la Cour suprême à ses ordres et muselé la presse locale.
Enfin, comme pour indiquer qu'il a tout pour marcher sur les traces de Menem, il a beaucoup été question à la veille du second tour d'un mystérieux "trésor".
Lors de son arrivée à la tête de la province, en 1991, Kirchner avait hérité de 630 millions de dollars, fruit d'un dédommagement versé à la suite d'un procès concernant des redevances pétrolières. S'y étaient ajoutés par la suite 420 millions de dollars, après la revente d'actions du groupe pétrolier YPF, actions appartenant à la province, au moment de la privatisation de ce groupe. Pressé par les journalistes, Kirchner a admis que 531 millions étaient placés sur des comptes en Suisse et au Luxembourg. Initialement, cet argent était placé aux États-Unis, mais quand il a compris que la dette argentine allait continuer de grandir, il a déplacé cet argent vers l'Europe pour être sûr qu'il ne soit pas saisi par les financiers américains!
Alors que 60% des Argentins sont dans la misère, tout cela indique que Kirchner n'appartient vraiment pas au même monde que ceux qui continuent à subir de plein fouet les conséquences de l'effondrement de l'économie argentine. Ils ne tarderont pas à le vérifier. Parmi les tâches qui attendent le nouveau président, il y a la renégociation de la dette avec le Fonds Monétaire International. Et, parmi les exigences de celui-ci, qui relaient celles des grands groupes capitalistes, notamment français et espagnols, qui ont dépecé l'économie argentine, il y a l'augmentation des tarifs des services publics évaluée à 20%. Kirchner semble déjà décidé à une première augmentation de 10%. Cette entrée en matière du nouveau président sera particulièrement rude dans un pays où, depuis la dévaluation, les salaires, déjà faibles, ont baissé en moyenne de 23%, soit une baisse de 15% dans le secteur privé, de 28% dans le secteur public, mais de 34% pour tous ceux, les plus nombreux, qui travaillent "au noir".
L'absence de second tour à cette élection présidentielle n'est peut-être au fond pas un mal. Car cela réduira d'autant les illusions électorales et les illusions éventuelles à l'égard du vainqueur de l'élection alors que, pour que le redressement de l'économie capitaliste ne se fasse pas sur son dos, la population ne peut vraiment compter que sur ses propres forces et sur ses luttes.